Deux regards s’affrontent : celui du propriétaire qui offre une vigne non encombrée de ronces, une vigne plantureuse prête à donner de bon fruit. Rien ne manque à sa beauté : clôture, pressoir. Ces images remontent à Isaïe « La vigne du Seigneur, c’est la Maison d’Israël »(Ch.5). Étonnant, ce proprio accepte de ne pas s’imposer parce que le « plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Judas».
«Livré pour nous.» Voilà ce qui monte en moi à la lecture de cette parabole. «Dieu a livré son Fils, son propre Fils » affirmait Paul (Rm 8, 31-34)qui ajoute deux petits mots qui changent tout : « pour nous ». Tout est dit. Déjà en ouvrant son livre, Isaïe qui clamait : « J’ai élevé et fait grandir des fils. Ils se sont révoltés contre moi (Is 1, 3) » s’empressait d’ajouter « mon serviteur réussira ».
Nous pouvons longuement contempler cette page. Nous pouvons en faire un chemin d'union à Dieu. D'union totale, transformante dirait Jean de la Croix. Cette page est un appel à dépasser nos blessures profondes qu'aucune parole ne semble apaiser. Blessures qui conduisent à des glissements meurtriers à la manière des frères de Joseph, des vignerons. Apaiser des blessures, les confesser pour éviter des comportements horribles, inexplicables, c'est l'ascèse de notre carême
Notre premier regard devant cette parabole s'arrête aux gestes des vignerons qui systématiquement liquidèrent les "serviteurs" envoyés par le Maître. Regard horrifié par des comportements inacceptables, injustes, inhumains aussi. Il y a un autre regard, plus subtile, explicatif de tels comportements et que Matthieu laisse voir quand il précise par la bouche même des vignerons (ils ne sont pas si dépourvus de lucidité que ça) que c'est parce qu' " ils ne portaient pas de fruits, (que) la vigne leur sera enlevée pour la remettre à d'autres" .
Quelle délicatesse il y a de la part de Jésus à nous raconter cette parabole! Comme sur la montagne du Thabor, il veut nous éviter de sombrer dans la désespérance quand elle se réalisera. Ce qui nous foudroie à son audition, c’est toute cette conspiration de mort contre Jésus. Ce qui est plus subtilement présenté, c’est l’immense joie du Maître à nous confier sa Vigne et son entêtement à jamais nous l’enlever.
Quand l’Evangile nous parle de vigne, il nous faut tendre l’oreille et écouter attentivement. La vigne, c’est Jésus, c’est nous. Il y a alliance, une union mystique entre cet homme qui planta une vigne et les vignerons. Dieu s’est tellement lié à nous qu’il est impossible de concevoir qu’il puisse exister un seul fils de Dieu et que tous les humains ne le soient pas avec lui(Zundel). Au nom de Jésus, je nous dis Oui, écoutez cette parabole.
Les Archives Nationales des États-Unis nous rapportent une conversation qui s’est tenue il y a plus de 150 ans, entre un officier du gouvernement américain et le chef d’une puissante tribu amérindienne: (nez percés)“ Pourquoi ne voulez-vous pas d’écoles? ” demanda l’officier. “ On nous y apprendra à avoir des églises ”. “ Pourquoi ne voulez pas avoir d’églises? ” “ On nous y apprendra à nous quereller à propos de Dieu ”.
Si ton frère viens à pécher, va reprends-le fait dire à Jésus Matthieu (18,15). Dans l’exemple du propriétaire de la Vigne, qui envoi son fils (6), son unique fils, son bien-aimé, le Père nous dit jusqu’où il est prêt à aller pour nous reprendre, nous retrouver. Quand quelqu’un investit dans un projet qui lui tient à coeur, il est prêt à tout pour réussir.
Quelle belle image que ces vignerons homicides. Quelle belle fresque allégorique de toute l ' histoire du peuple de Dieu, d ' Israël à l' Eglise, qui y est racontée la dedans. Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit (v.49). Oui le Verbe s 'est fait chair et il a planté sa vigne parmi nous et nous avons vu sa gloire.
"Regarde ta vigne Seigneur, viens sauver ton peuple " (Ps79). C ' est toute une histoire, la nôtre, qui nous est racontée dans cette image-parabole de la Vigne et de la trahison de Joseph par ses frères.. Se déroule devant nos yeux l ' histoire d' un peuple, de son appel, de ses infidélités, de ses heures de grâce, avec en fin de parcours le rejet de l ' Envoyé, le Fils de Dieu. C ' est l ' histoire d ' un peuple à la " nuque raide " . C ' est notre histoire au quotidien, faite de trahison et de fidélité. Véritable histoire sainte, histoire de salut.
