Année A : samedi de la 4e semaine du carême (litac04s.20) 28 mars
Jn 7, 40-53 ; Jr 11, 18-20 : attiré par Jésus
En préparant cette réflexion, une question m’a bouleversée. Est-ce que je suis attiré par ce Jésus qui semble insouciant devant les menaces de mort à son endroit; ai-je seulement de la pitié pour lui ? Qu’est-ce qui m’attire et me séduit chez le plus beau des enfants des hommes dont la réputation est d’être un mamzer, quelqu’un né hors mariage et en délit de paternité[1]?
Contrairement à l’expérience amoureuse où c’est l’attirance esthétique qui déclenche un mouvement vers l’autre, contrairement à la richesse qui attise les rêves les plus fous, c’est le questionnement sur son identité qui m’attire vers Jésus. Qui est Jésus ? D’où vient-il ? Jean met en lumière un Jésus d’une telle profondeur que tout raisonnement humain s’effondre pour laisser place au mystère de sa personne. Fils de Joseph ou pain descendu du ciel ? Jésus n’est pas seulement porte-voix, révélateur de Dieu. Il est Parole qui a tellement fasciné les gardes envoyés pour l’arrêter qu’ils ont choisi de lui laisser sa liberté. Leur réaction pose la question du mystère Jésus.
La grande douceur de Jésus au milieu de tant d’opposition m’attire. La douceur se manifeste dans les moments de conflit, car c’est alors que l’on voit comment on réagit à une situation hostile[2]. Pour m’attirer à son fils, le Père me fait voir (nous contemplerons cela durant ces quinze jours de la passion) que la rébellion contre lui n’altère pas sa grande paix intérieure. Jésus suscite de l’animosité, voire la guerre chez ses adversaires; cela n’affecte en rien la douceur de paix qu’il dégage. Il n’élève pas la voix comme un agneau docile (Jr 11,20). La parole douce éteint le courroux comme l’eau éteint le feu, dit l’auteur du livre de la sagesse (Si 6, 5).
François de Sale observe qu’on attire plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec cent barils de vinaigre. Pour m’attirer vers son fils, le Père me fait goûter au miel de la douceur que dégage Jésus ; ce qui n’est pas une stratégie d’attraction ni une forme de manipulation. Le Père n’utilise pas son fils pour que l’humanité croie en lui. Il présente un homme dont la vie intérieure n’est aucunement pas troublée par les oppositions, les opinions erronées, les commérages et les calomnies qui circulent abondamment contre lui. Cela me séduit jusqu’à désirer vivre comme lui.
La guerre vient toujours de la volonté de domination sur les autres. Elle surgit quand nous n'arrivons pas à admettre et à respecter la diversité de l'autre, la terre sacrée de l’autre (pape François), qui vit à côté ou en face de nous. Ce Jésus qui m’attire est celui qui abolit toute notion de domination sur l’autre, toute forme d’oppression de l’autre. Ce qui me fascine, c’est ce Jésus qui n’annonce pas le ciel, qui ne bénit pas le statu quo, qui n’a laissé aucune structure de pouvoir, vous êtes tous frères (Mt 23, 8), et qui est respectueux de la liberté de chacun.
Au milieu de la tourmente, Jésus maintient son projet de transformation de la société qu’il appelle son royaume. Sa douceur est sa théopratique, sa manière de pratiquer Dieu. C’est le cœur de son programme, de sa bonne nouvelle.
S’il y a en Jésus quelque chose qui résume sa manière de vivre, c’est sa douceur. Il ne perd jamais le cap de la sérénité. Insulté, il ne rend pas l’insulte ; dans sa souffrance, il ne menace pas (cf. 1 P 2, 23). Nous réfléchissons beaucoup sur ce qu’il faut faire pour promouvoir un environnement sain, pacifique. Il faut plutôt se demander ce qu’il faut être pour dégager cette douceur aux heures les plus dramatiques de nos vies. Il est facile d’être doux quand tout va bien. Qu’en est-il de notre colère quand nous sommes opprimés? La douceur de Jésus se voit nettement dans sa passion quand il ne cherchait pas à se défendre, lui recherché pour avoir fait du bien aux exclus.
Si, durant ces quinze jours de la passion, nous sommes incapables de ressentir cette douceur, c’est que nous ne sommes pas disciples de Jésus, que notre proximité est pure idéologie, non-expérience réelle. Il ne s’agit pas d’être accommodant, d’être mou mais de ne pas perdre l’héritage de la douceur aux heures de grandes perturbations de la foi. Il n’y a pas de territoire plus beau à gagner que la [douceur] retrouvée avec un frère. Voilà la terre à recevoir en héritage par la douceur[3]. Amen.
Autres pistes de réflexion sur le même passage :
[1] Marguerat, Daniel, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Seuil, 2019, p.54
[2]http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2020/documents/papa-francesco_20200219_udienza-generale.html
[3] Ibid.
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