Année A : mercredi de la 25e semaine ordinaire (litao24me.17)
Lc 9, 1-6 : tout placer dans le cœur et non dans la bourse
Je commence cette réflexion par ces mots écrits au XIVe siècle pour le grand priant Ruysbroeck : dans l’Église primitive, les apôtres et les saints évêques marchaient de par le monde et convertissaient les païens. Maintenant, c’est une histoire différente. Quand un évêque ou un abbé visitent son peuple, il arrive avec ses quarante chevaux, sa famille étendue et à grands frais. Mais lui-même n’a rien à payer. Le changement était dans la bourse et non dans le cœur (traduction libre de ma part). [i]
L’appel à n’emporter ni argent, ni pain, ni bâton a été remplacé très tôt dans l’histoire de l’Église, par la séduction des richesses, que souvent les envoyés déployaient. Jésus et ses disciples étaient pauvres de tout bien. Ils étaient riches en humanité, en vertu, disait-on à une autre époque.
Ruysbroeck déplore qu’à son époque, les envoyés de l’Église (évêques, abbés, prêtres) fussent riches en avoir de toute sorte et pauvres en humanité, en vertu. Pour lui, c’était des disciples de Judas qui, à son époque, dirigeaient l’Église. Ils sont comme Judas qui ont vendu leur Maître.
Quand est-il aujourd’hui ? Le pape François atteste dans sa personne même et dans ses attitudes et comportements que l’évangile ne s’annonce pas en portant des phylactères et en rallongeant les franges (cf. Mt 23, 5). C’est seulement avec cette certitude intérieure de pauvreté et appuyée par des comportements extérieurs, que s’annonce l’évangile. Tout est gratuit. Tout est grâce. Il y a cinquante ans, le document Ad Gentes (no 5) notait que la mission de l’Église continue et développe la mission du Christ lui-même […] qui s’est fait pauvre.
Dans sa lettre pastorale sur l’environnement (Laudatio si, no 122), le pape François remarque avec lucidité que lorsque l'être humain se met lui-même au centre, il finit par donner priorité absolue à ses intérêts […] et tout ce qui ne sert pas ses propres intérêts est sans importance. Nos intérêts convoitent toujours davantage.
Tout quitter ou n’emportez rien, ces paroles engendrent des chrétiens. Ils donnent des ailes, pourrait-on dire, à l’évangélisation. Les évangélistes expriment les préoccupations de Jésus quand ils écrivent qu’on peut rendre vaine la Parole (cf. Mc 7, 13), la falsifier (cf. 2 Co 4, 2), la diluer pour gagner l’approbation (2 Co 2, 17) ou l’enfouir dans des paroles humaines qui la vident de sa beauté (1 Co 2, 4). Contre ces risques très réels, Pierre insiste pour nous entendre parler avec les mots de Dieu (cf. 1 Pi 4, 11), avec le style et comportement de Jésus.
Vincent de Paul atteste que le style de vie du chrétien est aussi important que le contenu de sa foi. La foi passe plus à travers nos personnes que dans nos paroles. Paul VI affirmait que les hommes d'aujourd'hui ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu'ils suivent des maîtres, c'est parce que leurs maîtres sont devenus des témoins (Paul VI au Conseil des laïcs, 1974). Une question surgit : et nous, ici, sommes-nous témoins ou maîtres en parole de Dieu ? Nos vies sont-elles des réponses à la parole que nous venons d’entendre ?
Aucunement question de délester l’héritage de la foi, le dépôt pour parler en termes de contenu, mais notre style de vie ne doit en attester la faisabilité. Il ne s’agit aucunement de vivre misérablement. Ce n’est pas les possessions qui font problème, mais l’emploi qui en est fait. Le tout quitté n’est pas non plus à comprendre seulement des biens à avoir ou pas. Il faut aussi quitter nos blessures intérieures, décrocher de ce qui nous arrive, délaisser nos turbulences d’ordre physique ou psychique. Ce terrain-là est plutôt difficile.
Accorde-nous une pareille ardeur à aimer et pratiquer ce qu’a enseigné (oraison) Vincent de Paul. AMEN.
[i] Rik Van Nieuwenhove, Ruysbroeck Jan Van, mystical theologian of the trinity, Ed. University of Notre Dame Press, 2003, p. 15
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