Année B : mardi 28e semaine ordinaire (litbo28m.15)
Luc 11, 37-41 : nous, les hommes, avons deux yeux.
Jésus n’est pas un contrôleur de rites mais un facilitateur de vie. Ce matin devant les pharisiens qui lui reprochent, ils ne font que cela dans l’évangile, de ne pas s’être lavé les mains, Jésus refuse d’agir pour citer le pape François, comme un douanier. Il refuse de réduire la religion en simple code de devoirs. La pratique de la religion ne consiste pas à épater la galerie. Ce qui est extérieur, nous dit Paul, tombe en ruine (2 Co 4, 16).
Pour beaucoup de gens, la vie chrétienne est synonyme d’efforts, de performances, de records. Luc offre un autre regard. Pour Jésus, la vie se joue non pas au niveau de comportements si édifiants soient-ils, mais à la fine pointe du cœur. La vie promue par Jésus ne sera jamais axée sur l’extérieur, le visible. Bien en dessous de nos gestes extérieurs, de nos aspirations à bien paraître, existe une zone de fraicheur que rien ne peut polluer ni contaminer. Cette zone, c’est un chemin d’exode toujours à creuser pour rejoindre le fond du fonds de notre être tout en sachant que nous ne l’atteindrons jamais. Notre profondeur, c’est celle même de Dieu.
Comme j’aimerais aujourd’hui faire entendre que se donner de l’importance, déployer des comportements empesés, se faire voir en se lavant les mains vient de nous dire Luc, tout cela ne fait que gonfler notre égo et nous éloigner d’une vie à saveur évangélique. Ce n’est pas ce qui se voit qui donne de la beauté, de la substance à une vie, c’est sa vitalité intérieure. On existe par en-dedans. On est rempli d’être par en-dedans. Jean Guiton écrivait : tant d’êtres sont pesants et pourtant sans densité […] parce que vides en dedans.
Regardez Jésus. Il a refusé de s’arrêter à observer l’extérieur. Il a choqué en conversant au puits de Jacob avec une femme à la réputation non enviée (Jn 4, 1-42). Il a étonné en ne condamnant pas la femme adultère (Jn 8, 1-11). Il a bouleversé les cœurs en offrant au larron sur la Croix le paradis (Lc 23, 42). Il a vu de la beauté dans la pécheresse. Il a admiré le repentir de la femme adultère. Il a reconnu la grandeur d’âme du larron sur la Croix.
Refuser de mener une vie de façade est un véritable défi aujourd’hui. À une autre époque on parlait de l’oeil de Dieu qui voyait tout. Aujourd’hui, c’est l’œil de l’autre qui nous préoccupe. Il nous pousse à tout extérioriser pour se sentir exister.
Jésus nous dit ce matin d’exister pour les autres et non pas par les autres. Nous avons du mal à exister sinon par le regard des autres parce que nous manquons de profondeur. Toute vie axée sur un rigoureux protocole de choses à faire révèle un grand vide intérieur. Cette vie-là est pur smog, pur tape l’œil. C’est beau à voir, mais on sent bien que c’est vide à l’intérieur.
Jésus invite ses opposants à un voyage, un pèlerinage intérieur, jamais terminé. Ce voyage est difficile parce qu’il est non tangible. Il conduit vers un autre monde que celui de tout miser sur le paraître. Vers un monde d’un autre ordre qui rejoint l’être, la personne que nous sommes. Jésus est venu annoncer qu’au centre de l’humain, il y a un château intérieur. N’a-t-il pas lui-même déclaré : mon royaume est au-dedans de vous (Jn 17, 36). En réorientant le regard des pharisiens non sur les ablutions avant le repas, Jésus opte pour un regard d’immersion dans les cœurs. Le centre du cœur [de l’âme], disait Jean de la Croix, c’est Dieu.
En visite à Cuba, le pape, citant un écrivain latino-américain, disait aux jeunes : nous, les hommes, nous avons deux yeux, un de chair et un en verre. Avec l’œil de chair, nous voyons ce que nous regardons. Avec l’œil en verre, nous voyons ce que nous rêvons. C’est beau, n’est-ce pas ? Avec l’œil intérieur, nous faisons bouger la vie qui est souvent étouffée par nos regards foudroyants.
Ne nous contentons pas d’un regard prolongé sur les choses visibles. Courrons à la découverte de la nouveauté toujours nouvelle qui est un délice pour les yeux de verre, dit le poète qui nous fait voir ce que nous rêvons. Rêvons à une vie moins protocolaire, façade, mais plus transparente de notre beauté intérieure. AMEN.
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