Année C : samedi de la 5e semaine ordinaire (litco05s.22)
Mc 8, 1-10 : où est le miracle ?
Je pose une question : où est le miracle dans ce pain multiplié ? Louis Évely, auteur très en vogue au siècle dernier, a suscité un tollé en expliquant que la multiplication des pains était dans la mise en commun des casse-croûtes que chacun avait apportés et qu’il gardait pour eux-mêmes[1]. À ses yeux, le « merveilleux » de ce geste de Jésus fut d’avoir amené une foule à partager, à se montrer solidaire. Ce « merveilleux » fut tellement contagieux que les différents évangélistes en ont fait mention. L’auteur se refusait de faire de ce passage et de tant d’autres, une lecture littérale, fondamentaliste.
À notre regard contemplatif, ce matin, un geste « merveilleux » de partage du peu que nous avons. Ce n’est pas un geste condescendant de quelqu’un de tout-puissant, mais qui a de la sympathie pour la situation des gens. De riche, il s’est fait pauvre (2 Co 8, 9). Ce n’est qu’après coup, qu’on vit dans ce geste l’anticipation d’un Jésus, pain de vie. Celui qui invite au partage est, paradoxe, celui-là même qui n’a rien à partager tant qu’il n’apporte rien avec lui. Plus on divise, plus il y en a jusqu'à y avoir de trop. Et si c’était cela le « miracle » dont parle Marc ? Un geste écoresponsable où rien ne se perd et qui donne envie d’autre chose que de répéter un rituel eucharistique à l’heure où les églises sont fermées.
Le miracle, ne serait-il pas un appel à partager ce que l’on est plutôt que ce que l’on a ? Le fond de notre être commun est « sacerdoce », partage. Cela exige une intensité d’attention à l’autre ce qui est plus exigeant que d’offrir un comprimé effervescent, un compagnon blanc (François Cassingena-Trévedy) à recevoir. Jésus que l’empathie fascine, révèle par ce geste-invitation à mettre en commun, le fond profond de son être. Il n’est que partage. Il s’est vidé de lui-même (Ph 2, 7), dit Saint Paul.
Partager notre être profond à la manière de Jésus avec nos contemporains assoiffés de plus que d’un rituel eucharistique qui souvent ne leur dit plus rien est le tout premier chemin pour faire découvrir le vrai Jésus.
Plusieurs aujourd’hui partagent ce qu’ils sont. La revue Le Verbe donne l’exemple d’une infirmière de la rue à Saint-Jérôme, qui avec une cohorte de bénévoles dont la seule richesse était leur générosité, répond à leur besoins et crée ainsi des liens de solidarité inestimable. Elle continue aujourd’hui avec aucun revenu officiel, le merveilleux geste de Jésus[2]. Elle se fait « eucharistie » en partageant le peu qu’elle possède.
Un déplacement d’envergure s’impose à nous : c’est le partage du rien que nous avons qui est « sacrement » le plus redoutable à promouvoir et non prioritairement la promotion d’un culte qui ne nourrit plus nos contemporains même s’il faut louer le courage des initiatives des messes dehors par temps glacial. C’est la pratique quotidienne de ce « sacrement » qui donne ensuite le goût de l’eucharistie.
Par ce geste, Jésus pose les jalons de l’évangélisation que le pape a définie en ouverture de cette démarche mondiale de la synodalité : rencontrer, écouter, discerner. Jésus devine que l’homme en face de lui est bon et religieux […], mais il veut le conduire au-delà de la simple observance des préceptes. […] il l’aide à discerner[3]. C’est la proximité de Jésus et son écoute des gens qui le poussent à poser un geste-fondation de sa bonne nouvelle : partager ce que l’on est pour clamer que le royaume est déjà parmi nous. Plus que le partage de nos avoirs qui souvent prend des allures de vanité, de pouvoir, la vraie nourriture qui nourrit et qui rassasie, c’est d’être nourriture pour ceux et celles que nous rencontrons.
La grande préoccupation de Jésus n’est pas de savoir si les gens sont dignes de recevoir la communion, mais si les gens ont faim. À l’heure où nos églises sont fermées, sommes-nous plus préoccupés à célébrer dehors par temps glacial un rituel exécuté avec exactitude plutôt que de partager le peu qu’on a ? Avons-nous autant de créativité pour rejoindre sur des mers devenues un vaste cimetière (pape François), ces foules en recherche d’une terre d’accueil et de partager avec elles le peu qu’on a ? Le grand mystère de foi n’est-il pas le partage du peu qu’on a. AMEN.
[1] Evely Louis, l’évangile sans mythes, Ed. Universitaires, Paris, 1970.
Commentaires
J'ai apprécié, je suis
Soumis par Carole Gingras le jeu, 02/10/2022 - 07:21J'ai apprécié, je suis émerveillée par cet homme qui voici plus de 2000 ans, à su voir, autrement et à enseigner à voir et à faire encore aujourd'hui. Prendre le temps de savourer que nous sommes un rien dans une immensité et que chacun chacune a une valeur inestimable. C'est un paradoxe, ou la vie est.
Combien il est pour moi difficile de partager qui je suis, et non pas ce que j'évalue ce qui est bon de ma personne dans la rencontre. Oui en marche, vous qui avez saisi cela et enseigner à faire par vos actes. Merci beaucoup ce matin cela me donne un souffle pour aller au travail.
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