retraite: Dieu a du temps pour les insignifiants
Causerie# 2: Jésus , un insignifiant de grande valeur
En guise d'ouverture
Regarde-le, le pauvre. Pauvre type. Pauvres gens. Ces expressions laissent entendre autre chose qu'une résonance financière. Elles signifient que nous sommes en présence de quelqu'un qui semble ne pas avoir de vie dans sa vie. Qui est seul, sans ami, inspire pitié. Quelquefois l'expression laisse entendre que quelqu'un est idiot, sans allure. Il répond à la description que je faisais en ouverture sur l'insignifiant.
Regarde-le, le pauvre. Pilate a traduit cette expression par voici l'homme. Voici l'un de ces malades mentaux qui a des hallucinations, qui se prend un autre. Pour Dieu. En le livrant à la foule, Pilate leur disait: il n'y a rien à faire avec cette sorte de gens.
En ouvrant ce millénaire, Jean-Paul 11 a prophétiquement invité le peuple chrétien à repartir du Christ. Il suggérait avec insistance ce que tous les mystiques ont inscrit à la base de leur spiritualité, le regarder, le contempler jusqu'à ce que nous en soyons transformés.
Mais que voyons-nous quand nous le regardons ? Un peu risqué que de répondre. Il y a tellement de regards sur Jésus. Le regard que nous posons sur lui conduit ou pas à le reconnaître comme quelqu'un d'un peu spécial, d'un peu fou, très peu porté à s'auto regarder et dont la seule préoccupation vise aux mieux-être des autres.
Je vous livre en vrac des images, une sorte de théologie de l'image de ce Jésus dont l'image ne prend forme en nous qu'en le regardant. Au début, cette image sera un film en développement. Ce que nous y voyons est flou, méconnaissable, mais plus le développement avance, plus l'image imprimée est claire. Plus l'image qui s'en dégage est celle d'un insignifiant.
Toutes ces images sont des surprises de Dieu. Elles conduisent toutes à reconnaître que Jésus a renoncé à la joie qui lui était proposée, a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et [qu'] il siège [maintenant] à la droite du trône de Dieu (He 12,2). C'est à partir de cette image ignominieuse, de cette image du voici l'homme, de regarde-le, le pauvre, que s'est répandu l'évangile.
Une image-boussole : Voici l'homme
Il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est la proclamation d'un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes (1 Co 1, 21.23). De la mangeoire à la Croix se dégage une vie qui a connu l'extrême de l'insignifiance, du rejet, du ridicule. Cette image attire tout le monde à moi (Jn 12, 32). Lui, et je paraphrase Saint Paul, qui était quelqu'un d'important, de grandes valeurs, est devenu pour nous quelqu'un sans valeur, sans notoriété (2 Cor 8, 9)
Cette image du voici l'homme est celle d'un côté ouvert par la lance, celle des pieds et des mains liés. Transpercés. C'est un corps déchiré qui nous dit qu'aurais-je dû faire que je n'ai fait (Is 5, 4). Cette image fait voir que le regard de Dieu sur la souffrance, l'abaissement, les petits, les «punks», est différent de la folle sagesse du monde (1 Co 1, 20).
Cette image-boussole a été celle qui a orienté les premiers chrétiens, ce qui les a fortifiés aussi. Ce fut le plan d'architecture qu'ils ont promu pour une terre nouveau genre. Tellement jugé irrecevable ce nouveau vivre ensemble sans disparité sociale, que les premiers chrétiens sont devenus eux-mêmes des arriérés mentaux tant leur proximité avec ce genre de vie les rendait repoussant. On les regardait comme membres d'une secte dangereuse. Cette image d'un homme livré aux nations pour qu'elles se moquent de lui (Mt 20, 18), était pour Jésus un joug aisé et un fardeau léger (Mt 11,28).
Jésus, un messie inattendu
Mais lui, nous savons d'où il est. Or, lorsque le Messie viendra, personne ne saura d'où il est (Jn 7,26-27). C’est justement cela l'élément central d'où origine le «cas» Jésus. L'insignifiant Jésus. Le Jésus qu'on voyait n'était pas de descendance royale ni de descendance sacerdotale. Il n'était pas le Messie attendu. Il était un Messie inattendu[1]. Jésus n'était pas fils de princes ou de comtes ou de barons. Il était fils de gens simples. C'est pour cela qu'il allait vers les gens simples: les malades, les personnes abandonnées, les sans-logis. Cette vie simple est au centre de l'Évangile. C'est une simplicité ontologique, sociologique.
Chaque évangéliste à sa manière d'exprimer cela. Il vient à Nazareth écrit Luc où il avait été élevé, entra, selon la coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. [...] l'Esprit du Seigneur est sur moi...il m' envoyé porter la bonne nouvelle [...] Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture (Lc 4, 16-19, citant Is 61,1).
Il alla dans son pays écrit Matthieu, et il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle manière qu'ils étaient frappés d'étonnement et disaient: ‘D'où lui viennent cette sagesse et ces miracles? N'est-il pas le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie, et ses frères: Jacques, Joseph, Simon et Jude? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous ? Alors, d'où lui vient tout cela ?’ Et ils étaient profondément choqués à cause de lui (Mt 13, 54-57).
Un mot résume le tout : Jésus surprend. Jésus surprend parce qu'il vient de Nazareth et que rien ne peut sortir de bon de la Galilée des Nations. Il surprend par une parole forte qui fait autorité. Il surprend par sa position non légaliste sur la religion. Pour Jésus, tout se joue au niveau du coeur et non du paraître. Il surprend parce qu'il s'éloigne de cette bonne vieille maladie humaine, incurable, récurrente : les ambitions dévorantes, l'insatiable appétit de pouvoir.
Saint Bonaventure exprime ce comportement surprenant de Jésus quand il écrit : Le Maître souverain, qui va nous enseigner les chemins de la vie, commence dès sa jeunesse à faire des oeuvres de puissance, mais d'une manière étonnante, inconnue et inouïe, en paraissant aux yeux des hommes inutiles, ignorants, et en vivant dans l'abjection [...] Il tenait de plus en plus à cette manière de vivre afin d'être jugé par tous comme un être bas et insignifiant ; cela avait été annoncé par le prophète qui disait en son nom : je suis un ver et non un homme (Ps 21,7). Tu vois donc ce qu'il faisait en ne faisant rien. Il se rendait méprisable. [...] Ce n'est pas lui qui avait besoin de cela, mais nous.
Saint Bernard va beaucoup plus loin dans sa réflexion, quand il ajoute que Jésus ne s'est pas contenté d'avoir pris la condition de serviteur pour se mettre au service des hommes ; il a voulu prendre l'aspect d'un serviteur indigne pour être frappé et subir la peine qui nous était due en raison de nos péchés.
Ce que les écritures font ressortir, c'est que ce Jésus-là, aux origines très humaines, ne passe pas la rampe, dirait-on aujourd'hui. Les évangélistes nous montre un homme comme tout le monde, mais qui s’exprime, agit d’une manière telle que cela dépasse infiniment l'entendement humain. Il n'est pas crédible tant il inaugure quelque chose de nouveau. D'où la question : d’où lui vient tout cela ? D’où est-il ? Cette image de Nazareth présente un Jésus tellement humain qu'il ne peut être Dieu.
Messie inattendu quand il accepte de se faire baptiser par Jean ; inattendu quand il appelle à changer de registre de gouvernance : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi (Mt 23, 1-12) ; inattendu quand il dévoile sur la montagne des Béatitudes, à une foule fatiguée de se faire gouverner par de beaux parleurs, son plan de construction d'un monde neuf (Mt 5-7); inattendu quand il promeut une religion non plus du paraître, mais en esprit et en vérité dit-il à la samaritaine (Jn 4, 23). Avec lui, la parole est inscrite dans les coeurs et non dans la bible, écrit un évêque africain, Mgr Anselme Sanon[2].
Jésus, un homo detritus
Une expression populaire souvent entendue fait dire que ce qui ne vaut pas cher ne vaut rien. Il vaut mieux payer un peu plus cher pour avoir quelque chose de durable. Ne pas payer cher sous-entend qu'on va en disposer dès la première occasion. Ce qui ne vaut pas cher est souvent envoyé assez rapidement au rebu.
La conséquence d'une vie à Nazareth, d'une vie vécue à l'ombre du métier de charpentier, métier de pauvre, pas très rémunérateur, c'est que Jésus était vu, perçu comme de bas niveaux. C'était l'un de ces pauvres de l'époque qui n'avaient que le strict nécessaire pour vivre.
À sa mort, on se divisait à son sujet. Nombreux étaient ceux pour qui Jésus ne valait pas cher à leurs yeux tant il était un provocateur de trouble. Jésus était un «pauvre gars» qui hallucinait. On rapporte même qu'il n'avait pas les trente deniers nécessaires pour acheter le bois de sa croix. Ses avoirs n'atteignaient pas trente deniers qui étaient à l'époque le salaire d'un esclave. N'avoir rien, c'est ne valoir rien. C'est n'être rien. Si je ne vaux rien, c'est que je n'ai rien.
Par son origine, Jésus était bien conscient qu'il ne correspondait pas à l'image du Messie attendu. Il était conscient qu'il dérangeait. Ce qui me frappe dans Jésus, c'est cette consigne d'aller toujours de l'avant. De sorte qu'on pourrait dire que l'élément stable du christianisme, c'est l'ordre de ne s'arrêter jamais (Henri Bergson).
Jésus, un dangereux minores
Un minores, c'est quelqu'un qui n'exerce aucun pouvoir ni domination sur quiconque. Quelqu'un qui se tient pour ne se voit pas important dans la société, qui ne détient aucun pouvoir, qui n'est ni politicien ni religieux, qui n'a aucune prétention sur lui-même et ses capacités. C'est quelqu'un pour citer le pape François, en sortie vers les autres, capable de proximité concrète avec les pauvres, les nécessiteux, les marginaux, dans un comportement authentique de partage.[3] Le minores, c'est quelqu'un qui comprend les nécessités et les besoins des autres parce qu'il les vit personnellement.
Il y a dans l'évangile de Luc pas moins de trente-trois passages où Jésus fait explicitement état des minores. Il les fréquente, les côtoie, les «renippe». Ils deviennent sa priorité. Chaque fois, il parle indirectement de lui. Le paradoxe est qu'en fréquentant les malades, les prisonniers, les souffrants, les étrangers comme la samaritaine, Jésus devient une menace pour l'autorité en place qui craignait que la renommée de Jésus affaiblisse la leur.
L'autorité de Jésus frappait et attirait les foules. Jésus déjouait à tous coups les pièges qu'on lui tendait. Même les spécialistes de la loi n'arrivaient pas à le prendre en défaut. La force de ses qui dénonçait l'hypocrisie, ébranlait les structures du pouvoir. Jésus était l'un de ces vauriens extrêmement dangereux tant il dépassait tous les clivages juifs-païens, purs-impurs, circoncis-incirconcis, Grecs-Juifs (cf. Col 3, 11; Gal 3, 28-29).
Il ne craint pas les lieux qui puent. Les personnes dont l'odeur est repoussante. Il ne répugne pas de fréquenter les fumiers du monde, à frayer avec ceux qui sentent mauvais aux yeux des castes bien-pensantes, toilettées et parfumées. Personne n'est exclu. Personne ne le dégoûte. Il n'est dégoûté par rien. Aucune situation ne le tient à l'écart, même Lazare en décomposition. Il est devenu en tout semblable aux hommes (Ph 2, 7-8). Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation [...] il a voulu ainsi. À partir du juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau [...] tous les deux en un seul corps au moyen de la croix ( Ep 2, 13-16).
Comment expliquer qu'aujourd'hui ce n'est pas la première image que nous avons de Jésus ? Qui aujourd'hui perçoit Jésus comme dangereux ? Nazareth est plus qu'un lieu naissance de Jésus. C'est un appel à contempler une Église nazaréenne. Un appel à détrôner de son piédestal un Jésus «embaumé», «plastifié», «doucereux». Ce qui en faisait le plus beau des enfants des hommes, c'est qu'il s'opposait à toute forme de cléricalisme, de juridisme ou de triomphalisme selon Mgr De Smedt[4].
Conclusion
Ce qui rendait Jésus insignifiant, c'est qu'il ne se considérait pas comme supérieur à l'autre ou détenteur d'une plus grande vérité. Jésus n'était qu'émerveillé par le visage de l'autre, questionné au plus profond de son être, averti selon la superbe parole d'Emmanuel Levinas que rencontrer un homme, c'est être tenu en alerte pour une énigme ( cf. Bernard Feillet espérance, DDD p. 150). Jésus ne laissait à personne le droit de prononcer le dernier mot sur sa vie.
Ce qui rendait Jésus insignifiant, c'est qu'il n'avait rien écrit, n'a été étudiant d'aucune grande école de son temps, n'a composé aucune mélodie, n'a fondé aucune école ou université. Il n'avait aucune armée. Aucune résidence principale. Aucune réputation enviable. Pourtant il était de toutes les conversations. Il fascinait autant qu'il était détesté.
Ce qui rendait Jésus insignifiant, c'est son regard sur les insignifiants. Sur Marie, elle n'était rien. D'elle même, elle n'eût jamais été rien. Sur Pierre, le traite. Sur Matthieu, le collusionneux. Sur la Samaritaine, l'infréquentable. Sur le lépreux, le rejeté de la société. Sur le larron à qui il ouvre le premier son royaume. Dieu les a regardés et son regard les a faits ce qu'il voyait. Nous devons tout à ce regard. Sans lui, nous serions des insignifiants vraiment insignifiants. La vie chrétienne est de profiter de cette folie de Dieu de nous regarder et d'en rendre grâce.
Ô fou d’amour ! As-tu donc besoin de ta créature ? J’en ai bien l’impression ! Car tu t’y prends avec elle comme si tu ne pouvais vivre sans elle… Pourquoi donc cette folie ? Pourquoi t’être ainsi pris d’amour pour ta créature ? Pourquoi avoir mis en elle ton bonheur et ta tendresse, comme enivrée de son salut ?[5]
Ce qui rendait Jésus insignifiant, c'est son refus d'institutionnaliser la religion au détriment du respect de chaque personne à naître à elle-même et au mystère de Dieu. Son combat de tous les jours fut de s'opposer à une religion qui dispenserait de demeurer toujours en route, jamais arrivée à destination. Jésus résistait contre toute occupation autoritaire de l'espace spirituel au nom de la religion. Il refusait une religion pour convertir les autres au point d'oublier de se convertir soi-même. Son attitude spontanée était de contempler les oiseaux du ciel qui ne sèment, ni moissonnent, sans songer un instant qu'il vaut mieux pour eux d'être enfermés dans une basse-cour pour qu'ils soient protégés et nourris.
À nous maintenant de relever le défi de devenir ou redevenir une Église nazaréenne, une Église qui s'identifie aux origines du Nazaréen, capable de prendre pour elle-même et de promouvoir l'homo détritus, cette pierre rejetée par les bâtisseurs, devenus pierre d'angle. C'est là l'oeuvre du Seigneur, la merveille de nos yeux (Mt 21, 42). L'urgence est moins de bien parler de ce Jésus que d'en prendre le chemin.
Je conclus par ces mots très forts d'Hervé Roussel dans une lettre aux communautés[6]: ce n'est pas parce que le nom de Dieu est invité à tous les plats qu'on retrouve la saveur du drôle de Dieu que Jésus-Christ donne à goûter.
[1] Gui Lauraire, on n'enterre pas la lumière, Éd. Temps Présent, Paris, 2015
[2] cité par Lauraire Gui, on n'enterre pas la lumière, p. 198.
[3] Pape François, discours aux membres du chapitre général des frères mineurs (26 mai 2015)
[4] les actes du journal du concile Vatican 11, 2e ed. Salvator, Paris 2012, p.133 cité par Gui Lauraire, op.cit. p.237).
[5] Sainte Catherine de Sienne (1347-1380), Dialogue 153.
[6] Lettre aux communautés #265: chemins d'une évangélisation nouvelle, juillet-août 2012,citée par Lauraire p. 211
causerie # 1: la maladie d'être chrétien
Causerie # 3 : fragilité interdite
Commentaires
Merci pour votre texte. Je n
Soumis par Harold le jeu, 03/30/2017 - 22:30Merci pour votre texte. Je n'arrive pas à voir comment Jésus a pu être un insignifiant dans son temps. Il dérange, devient folie de l'homme, sagesse de Dieu. Il est pour les uns le Messie et pour d'autres, le fou ou je ne sais qui mais pour tous, il dérange. S'il était insignifiant, il ne dérangerait pas. Mais je saisi bien votre message. Et merci de votre travail
Un merci très profond du
Soumis par Suzanne Beaudoin le ven, 03/31/2017 - 19:28Un merci très profond du coeur.
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