Année B : samedi de la 5e semaine CARÊME (litbc05s.24).
Jn 11, 45-57 : faire mourir Jésus.
Nous venons d’entendre le récit du chemin du ciel. La grande leçon que Jésus nous offre à contempler durant ces prochains jours est son humanité. Tellement humain dans son geste plein d’amitié pour Marthe et Marie qui précède notre lecture que Jésus se voit condamner par un pouvoir quasiment dictatorial sur lui.
Ce qu’a bien pu vivre Jésus, je l’entrevois dans ces récits d’enlèvements comme celui de sœur Gilberte Bussière qui, à 75 ans, fut enlevé au Cameron par des djihadistes de Boko Haram[1], simplement parce qu’elle aidait des gens, leur redonnait de la dignité. Au sortir de son enlèvement, elle écrit que jamais je n’ai autant gouté la parole de Dieu et ressenti sa présence.
Il me semble que Jésus aurait signé cette déclaration. Il n’a plus rien à perdre. Il est traqué de toute part. Sans ses longs moments de prière où il tombe littéralement entre les mains de son Père (He 10,31), il n’aurait pas tenu le coup. Là, il puise une force intérieure qui le fait tenir debout au milieu de tant de haine à son endroit. Sr Gilberte reprend autrement les dernières paroles de Jésus sur la Croix Père, pourquoi m’as-tu abandonné quand elle dit que c’est quand on n’a plus rien qu’il ne reste que Dieu.
Jésus éprouve en permanence pour la nation le paradoxe de vivre ce qu’il enseigne. Rien de grand, de plus honorable ne se vit sans paradoxe que l’évangile appelle le mystère pascal. En prendre conscience est le chemin pour vivre avec Jésus cette semaine sainte.
Ézéchiel dans la lecture entrevoit avec précision l’action de Jésus. Je les rassemblerai…, je les ramènerai…, j’en ferai une seule nation. Jésus ramasse cette vision quand il dit moi, je vous dis (Mt 5, 27). Cette déclaration fait de Jésus le criminel le plus recherché, le plus dangereux parce qu’il élimine les clôtures comme celles du Sabbat, qu’il supprime la distance entre le pur et l’impur, le dire et le faire. Son acceptation des autres tels qu’ils sont sans les convertir fait de lui l’ennemi de la religion. Jésus vit et meurt pour son histoire d'amour avec les gens. Il en est le protagoniste.
Nous vivrons ces prochains jours l‘itinéraire d’un modèle parfait d’une vie paradoxale : humain et divin, impuissant et puissant, mis en mort et vivant. L’évangile est une collusion constante d’opposés, de paradoxes, de contradictions. Jésus veut sortir des gens, des petites gens, de leur indignité, mais n’élémine pas ceux qui lui en veulent à mort. Il passe en faisant le bien, mais est poursuivi comme destructeur de la nation, victime de la cruauté et de la haine.
Il faut renoncer à cette voie surplombante (Marcel Légaut) qui consiste à affirmer que Jésus connaissait d’avance son destin parce qu’il est dans le Père et le Père en lui. Il y a consensus aujourd’hui chez les exégètes que c’est par sa radicalité non violente en faveur des rejetés par la classe dirigeante, pour son refus de voir des vies humaines devenir des maisons de trafic (Jn 2, 13-25), pour sa parole libre, libératrice qu’il fut tué. Jésus déstabilise les tenants d’un ordre social axé sur le visible. Un homme, écrit Matthieu (13, 19-20), ensemence du bon grain, mais pousse aussi de mauvaises herbes qu’il refuse d’enlever. En rassemblant les mauvaises herbes, vous déracineriez le blé avec elles.
Cette semaine sainte, prenons le temps d’accueillir une vie paradoxale et demandons-nous comment nous vivons ces paradoxes ? Nous entendrons des récits de mort transformés en chemin de vie ; une souffrance profonde transfigurée en bonheur ; une victoire écrasante des puissants leaders déclaration de leur faiblesse. Il faut oser donner sens à une folie, celle de la croix, sagesse de Dieu, qui reste un non-sens. Ce qui adoucit ce chemin de croix et le rend aimable, c’est de contempler l’amour avec lequel il est parcouru.
En ces temps de désolation, nous avons de grandes difficultés à voir un horizon futur où la lumière remplace les ténèbres, où l'amitié remplace la haine, où la coopération remplace la guerre. Cette semaine nous redira que nous sommes les témoins d’un tel horizon. L’essentiel est de ne pas laisser nos opacités nous enlever la lumière de Pâques. AMEN.
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