Année A : samedi de la 3e semaine du CARÊME (litac03s.23)
Lc 18, 9-14 –déconcertante nudité.
Il est question non de faire sa prière, mais de prière. Il est question de plus que de faire des choses pour Lui. De plus que de s’obliger à la récitation rituelle des psaumes pourtant nécessaire. De plus que d’être des bureaucrates de la prière, des fonctionnaires du sacré, des diplômés de la prière. Le mot « prière » est devenu une chose fonctionnelle et pieuse pour les croyants alors qu’il est, disent les maîtres spirituels, mouvement vers l’intérieur.
Il est question d’une fête de la rencontre. La vie chrétienne, votre vie ici, consiste à être avec Lui, à faire l’expérience de la proximité de Dieu avec nous. Sans ce cœur à cœur avec Jésus, on ne va pas loin. Chaque jour, il faut travailler à vaincre la tentation de la superficialité, de la mondanité spirituelle qui est, disait le Père de Lubac, la pire chose qui peut nous arriver. Sans prière et non sans faire ses prières, les tempêtes de la vie nous paralysent.
Nos deux priants accomplissent une dévotion inscrite dans leur agenda quotidien en prenant des chemins différents. Écoutons bien. Ils souffrent de la maladie de l’apparence. Ils pratiquent la religion du moi. Leur attitude devant Dieu, l’un se complaît, l’autre se mésestime, ont des allures d’autosatisfaction[1]. Dieu n’est pas au centre de leur prière. C’est leur personne. À force de s’autoregarder ou de dire Seigneur, je ne suis pas digne, nous risquons d’oublier de regarder Jésus. Nous prenons peu conscience, pour citer Maître Eckhart, que Dieu est à la maison. C’est nous qui sommes sortis nous promener.
En mettant Jésus au centre, le regard sur notre vie change et, malgré nos souffrances, nos perturbations, questionnements intérieurs, notre cœur à cœur avec Jésus nous enveloppent d’une grande paix. C’est celle au matin de Pâques que Jésus adresse à ses disciples en ruine, abasourdi par le scandale de la Croix, blessés d’avoir abandonné leur maître, vivant culpabilité, frustration, tristesse. La paix soit avec vous (cf. Jn 20, 20). Alors qu'ils ressentent en eux la mort, il annonce la vie.
Prier, c’est plus que de nous incliner devant Dieu, même avec humilité comme le publicain, c’est devenir Lui. La prière n'est pas un rituel, mais un dialogue de vérité et d'amour avec le Père[2]. C’est un temps de vérité pour faire tomber le maquillage que nous portons chaque jour pour paraître parfaits. C’est laisser Dieu entrer en nous par nos failles. Thérèse d’Ávila parle de la prière comme du non-attachement à soi-même. C’est par une sorte de ténèbres lumineuses de non-attachement et d’humilité que nous arrivons à être saisis par le regard d’amour de Dieu qui nous façonne en des personnes réconciliées avec notre passé. Il fait couler en nous des vagues de paix.
Vous avez bien compris, prier, c’est répondre me voici à la question de Dieu à Adam, où es-tu, qui veut ainsi rétablir sa relation avec lui. C’est vivre un temps de paradis, un temps de relation privilégiée avec le Dieu de notre foi. Un temps pour vivre dans la tente de la rencontre. Une rencontre, écrit le pape aux jeunes, qui prend le nom d’extase lorsqu’elle nous sort de nous-mêmes et nous élève, captivés par l’amour et la beauté de Dieu[3]. Et l’extase sera toujours un moment où nous perdons tout contrôle sur nous-mêmes au lieu d’être pleins de nous-mêmes. Chemin incontournable pour réveiller la résurrection en nous.
Je termine par cette belle prière de Michel Hubaut : Seigneur, aide-moi à comprendre que l’essentiel n’est pas d’abord de vouloir être vertueux, de se sentir en règle devant la Loi, ni même d’avoir bonne conscience ! Aide-moi à comprendre que l’essentiel n’est pas d’abord de me sentir coupable ou indigne, mais de me situer en vérité devant Toi. Seigneur, donne-moi la simplicité d’accueillir, émerveillé, la gratuité de ton Amour qui est ma vraie noblesse, ma justice et ma sainteté. Donne-moi de vivre la seule relation vraie, celle de l’Amour qui me rend capable de regarder ma misère sans m’y enfermer, puisque je sais que tu ne cesses jamais de m’aimer !
Jésus dit aujourd'hui à chacune d’entre vous, à votre communauté, la Paix soit avec vous (Cf. Jn 20, 19.21)
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