Année C : samedi de la 32e semaine ORDINAIRE (litco31s.22)
Lc 18, 1-8- : rester-là et s’oublier.
J’ouvre cette réflexion sur la prière par ces mots de saint Bernard, pour qui prier, c’est rester là et s’oublier. Je restais-là et je m’oubliais. C’est l’essentiel de toute prière. Mais cette présence-là, d’être saisi jusqu’à se perdre de vue, n’est pas facile tant nous sommes portés à l’activité, à l’efficacité. Accepter de n’avoir rien d’autre activité qu’être là, que de rester là la tête vide pour faire le plein du TOUT. L’immobilité est un phare pour le mouvement.
Quand je fais le plein avec ma voiture, je ne bouge pas, je n’avance pas, j’ai l’impression de perdre mon temps. Quand j’écris mes textes sans m’être préalablement arrêté, je tourne en rond. Je n’avance pas. Je perds mon temps. Paradoxe, perdre mon temps à rester là me fait avancer. Rester là près de la pompe à essence est essentiel pour continuer ma route. Paul exprime cela fort bien : j’ai été saisi, mais je ne l’ai pas saisi (cf. Ph 3, 13).
La femme était-là, elle s’oubliait. Sa seule tâche était d’être-là. Sa présence a exacerbé le roi qui n’en pouvait plus de voir à sa porte quelqu’un déranger sa grandeur. Résultat, il se produisit une alliance de réciprocité, alliance non désirée par le mécréant, mais alliance. Pour un instant, le mécréant se fait « elle » et la femme devient « lui ». La bible dit cela, vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu (Cf. Ex. 36,38).
Faute de rester là, de se vider de tout, nous risquons d’être en présence de Dieu sans le remarquer. Rester là immobile et paisible comme si j’étais dans l’éternité (Élisabeth de la Trinité). Rester là est à la fois une lumière pour ne faire qu’un avec Jésus, un attrait qui nous ravit tout entier, une force qui transfigure notre quotidien.
Le rester là de la contemplation est une véritable action parce que contempler, précise le père William McNamara, est un long regard amoureux sur le réel. Rester-là non pour trouver Dieu, seulement pour devenir le JE SUIS de Dieu continué en moi[1].
Dans une société où l’efficacité, la performance ou l’utilité immédiate sont acceptées comme le premier et presque le seul critère, cette veuve nous offre son cadeau le plus précieux, celui de rester-là envers et contre tout. Nous avons besoin rester là, de prier pour trouver le silence, la sérénité et le repos pour soutenir le rythme de notre vie quotidienne. Nous avons besoin de rester là pour vivre dans une attitude lucide et vigilante au milieu d’une société superficielle et déshumanisante.
À écouter les gens, une évidence apparaît, celle de l’épuisement par le bruit qui est partout, même en nous. On me demandait récemment comment je peux faire taire mon cerveau. La plus grande tragédie actuelle est cette incapacité croissante de rester là, d’entrée dans un silence intérieur bienfaisant.
Ici, vous êtes cette veuve qui nous montrez comment rester là, comment se vider de tout pour se remplir de l’essentiel. Vous nous montrez le besoin de rester là, de prier comme chemin pour se donner des racines profondes au milieu d’une manière de vivre superficielle, d’une société de tweet, de textos déshumanisants. En s’adressant récemment au chapitre général des sœurs capucines, le pape les invitait à aider le monde à passer de la cacophonie du bruit à la symphonie d’une vie qui unifie la contemplation et l’action.
Heureux ceux qui sont capables d’expérimenter au plus profond de leur être la vérité des paroles de Jésus : celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve, et à celui qui frappe on ouvre (cf. Lc 11, 1-13). AMEN.
[1] Père Richard Rohr in https://cac.org/daily-meditations/contemplation-and-right-action-2022-08-22/
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