Année B : mercredi de la 20e semaine ordinaire (litbo20me.21)
Mt 20, 1-16 ; Jg 9, 6-15 : en mission de gratitude.
En sortant à la recherche d’ouvriers, le maître de la vigne porte un regard qui donne de la dignité à des gens déconsidérés qui n’en ont pas tant ils vivent aux crochets des autres par manque de travail. Pour éviter que sa vigne ne finisse lentement par s’éteindre, mourir d’asphyxie, le maître de la vigne pose un geste inédit : d’aller renipper sa vigne en invitant des gens de mauvaises réputations parce que personne ne les a engagés, des exclus de la société parce que sans papiers ou handicapés, des gens d’origine ethnique désorientés parce que ne comprenant pas la langue du pays. À ses yeux, tous méritent d’être gratifiés d’un regard positif sur eux ; d’un regard qui donne de la dignité aux oisifs des rues en attente d’être considérés.
Le maître ne prend pas la précaution de vérifier les antécédents des futurs travailleurs. Il n’exige pas un CV impressionnant, ne pose pas de questions pièges. Son point fort n’est pas d’optimaliser l’organisation de sa vigne. Il fait confiance aux appelés et leur témoigne d’une exceptionnelle bonté. On dirait même qu’il est un peu naïf. Sa sortie exprime sa gratitude à leur endroit comme l’atteste le même salaire donné à tous.
Ce qui étonne à nos yeux du XX1e, c’est que le maître n’a aucun plan préétabli de mobilisation, ne recherche aucun profil particulier, n’a aucune stratégie spécifique. Il refuse de s’enfermer dans un enchevêtrement d'obsessions et de procédures (Cf. EG # 49). Son objectif, pour utiliser un terme organisationnel, est de faire corps-à-corps avec la vie en action[1]. Il rejoint les gens où ils sont, tels qu’ils sont dans leur vie réelle sans privilégier l’élitisme, le professionnalisme. Le maître a une attitude missionnaire en refusant de succomber aux pièges des replis autoréférentiels (Pape François), même s’il appréhende que son choix risque de provoquer le désordre (à l’intérieur de sa vigne), mais dans ce désordre, il (l’Esprit) crée l’harmonie[2].
Le lieu de la sortie du Maître est la rue, les trottoirs. Il sort pour guérir. À ses yeux, personne n’est un déchet. Personne ne mérite d’être sans emploi. Il n’invite pas les gens de classes dirigeantes, de la haute bourgeoisie, des gens réputés pour leur richesse. Il va vers ceux qui souffrent d’un regard désapprobateur sur eux, humiliés par les passants, à la réputation de vivre aux dépends des autres, ces assistés sociaux de nos rues, passant leur journée à attendre qu’on leur porte attention, à rêver d’un peu de considération des dirigeants. Il va embaucher des gens blessés, brisés par le désespoir, des gens « d’à côté », qui ont besoin d’un hôpital de campagne, capable de les revigorer.
À nous disciples d’aujourd’hui, l’attitude du maître interpelle le degré de notre capacité d’agir comme lui. Il ne s’agit pas de se dire chrétiens pour pratiquer l’attitude du maître. De dire Seigneur, Seigneur. Nous pouvons être proche de quelqu’un, partager quotidiennement sa vie sans être en communion harmonieuse avec lui. Judas vit au milieu des apôtres, est en contact continuel avec Jésus, écoute ses paroles. Sa proximité n’est pas une assurance de fidélité à son endroit.
Ce maître a une bonne et mauvaise nouvelle, pour nous croyants. La bonne, c’est que la vigne Église va continuer à changer de visage. La mauvaise, si nous n’aimons pas les changements, nous serons très malheureux. La résistance au changement n'est jamais une stratégie viable. Notre époque fourmille de prophètes de malheur et de nostalgiques.
Nous sommes plus souvent préoccupés de maintenir en vie une organisation en perte de vitesse plutôt que de favoriser des rencontres anodines, loin des cadres officiels, et qui font tant de bien, qui redonnent confiance et dignité. Comme le maître, il faut apprendre à poser un regard de gratitude sur les découragés de la vie en brisant tous les miroirs de l’autoréférentialité (Pape François), en posant des petits gestes en apparence inutiles et en ne raisonnant pas sur leur efficacité. Le « vivre avec » est le chemin privilégié de ce maître pour répandre l’odeur d’un parfum d’un nard pur (Cf. Jn 12, 3).
À votre contemplation : notre tâche de croyants ressemble à l’homme qui plantait des arbres, ce film d’Elzéar Bouvier. L’heure n’est plus à rafistoler des structures. Elle est à planter des arbres, à semer des graines d’évangile et nous donnerons des ailes d’espérance à notre Église. À notre foi. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[1]https://fr.zenit.org/2020/05/21/message-du-pape-francois-aux-oeuvres-pontificales-missionnaires-texte-complet/
[2] Le Pape confiné. Entretien avec le Pape François, cité par Père Antonio Spadaro, la civilta cattolica 20/4/20
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