Année A : mercredi de la 25e semaine ordinaire (litao25me.20)
Lc 9 1-6 ; Pr 30, 5-9 : nouvelle normalité… ne rien emporter..
En lisant ce passage de Luc, me vient en mémoire la figure de Charles de Foucault dont l’Église vient de reconnaître la sainteté. Il a enseigné l’apostolat du rien, ne s’est pas assis sur un illustre siège d’enseignement. Il n’a pas prêché, surtout pas sermonné les Touaregs. Il a vécu avec le strict nécessaire dans sa terre d’adoption à Tamanrasset. Frère universel du rien, il a suivi à la lettre la recommandation de Jésus à ses apôtres : n’emportez rien pour la route (Mt 10, 9-10). Dit autrement : ne soyez que des petits frères, de «petits rien du tout».
Voilà la nouvelle normalité évangélique : vivre en coloc avec les pauvres. Ce n'est pas la normalité de vivre comme avant, non celle de vivre repliés sur nos avoirs, non celle d’une croissance insoutenable et maximale, non celle du gaspillage éhonté. Celle de ne rien garder pour soi tout seul, celle de la mise en commun (cf. Ac 2, 44-45) de notre table (1 Co 11, 17-34), de notre foi.
Nous avons besoin de normalité. Chaque jour est une chaîne de routines, de rituels simples et vitaux. Observons seulement notre rituel au lever. Toute notre journée tourne autour de gestes répétés, presque machinaux. Automatiques. Observons comment la distanciation sociale n'est pas spontanée.
Jésus propose les bases d’une nouvelle normalité basée sur la compassion et la solidarité. Il pose les jalons d’une distanciation sociale avec cette culture du jamais assez, du toujours plus. Son projet est de maintenir entre nous une culture de déconfinement de nos possessions, de rejeter tout enfouissement de nos biens jusqu’au retour du maître (cf. Mt 25, 14-30) par peur de tout perdre.
N’emporter rien résume cette nouvelle normalité espérée par tous. Chaque page de l’évangile est marquée par les pauvres qui attendent l’arrivée de cette nouvelle normalité. Ce qui caractérise les amis de Jésus, c’est qu’ils sont des exécuteurs de cette nouvelle normalité. Si en lisant l’évangile, nous ne percevons pas cela, c’est que nous ne comprenons rien.
Cette nouvelle normalité tire son origine de Jésus dépouillé de tout. Il ne s’est fait rien pour nous. À sa mort, il ne valait que trente deniers. Dans ce manzer[1], cet insignifiant dont parle Joseph Fadette,[2] se cache la vraie richesse, sa divinité. Il faut être divin pour ne rien posséder, pour se déposséder même de divinité.
C’est en contestant notre degré d’attachement, d’abandon, de distanciation de nos biens, de nous-même que Jésus nous présente son projet d’une société solidaire, son royaume. Quelle est notre distanciation de nous-mêmes ? Jusqu’où va le déconfinement de nos possessions ? Prenons-nous cet appel de l’évangile au sérieux ? Il est facile de contempler le chemin pascal de Jésus. C’est le sien. Quand il est question de ne rien emporter, d’être riche de nos failles, c’est chacun de nous qui se voit concerné, interpellé. Cet appel effraie, fait peur et suscite une kyrielle de circonstances atténuantes pour en adoucir la portée.
N’emportez rien. Voyons-nous de la beauté dans cet appel ? Pour plusieurs, cette invitation est une véritable peste à éviter. Il évoque un virus mortel dont on ne connaît aucun antibiotique. Jésus soulève la question de l’essentiel, celle d’être solidaire. Voilà le sens profond du «n’emportez rien». C’est le plus beau fruit à emporter sur la route. C’est être mature que de vivre en état de déconfinement de nos biens.
L’association Lazare, fondée il y a dix ans par Étienne Villemain, qui a demandé au pape le 11 novembre 2016 d'organiser les journées universelles des pauvres (inaugurées en 2017), incite les membres à accueillir comme coloc un sans-abri, à partager avec lui maison, argent, prière[3]. Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t’inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux des aveugles … et tu seras heureux parce qu’ils n’ont rien à te rendre (cf. Lc 14, 8). Voilà où conduit l’appel de Jésus : devenir une fraternité où il n’y a ni pauvres ni riches, unis par une même destinée, celle d’être des colocataires de l’évangile.
Terminons par ces mots de la lecture : Seigneur, je n’ai que deux choses à te demander : éloigne de moi mensonge et fausseté, ne me donne ni pauvreté ni richesse, accorde-moi seulement ma part de pain. Amen.
Autres réflexions sur le même passage :
https://www.diocesevalleyfield.org/fr/a-lire-pour-vivre/2017-lc-9-1-6-frederic-janssoone
[1] Marguerat, Daniel, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Éd. Seuil, 2019, p.53.
[2] Fadette, Joseph, Le prix à payer, Éd. Œuvres, 2010
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