Année A : samedi de la 33e semaine ordinaire (litao33s.20)
Luc 20, 27-40 marcher ou s’arrêter; de qui sera-t-elle l’époux ?
Lisons correctement cette page et non pas avec un regard voilé. Pour la comprendre, il faut un regard dévoilé, un regard décollé des mots, ce que ne faisaient pas les sadducéens pour qui la mort empêchait la vie de vivre.
Cette page apporte un nouveau regard sur la vie, celui de Jésus pour qui la vie n’est pas renfermée dans une loi. Jésus savait comprendre la profondeur de la vie. Il percevait qu’au plus profond de chaque personne retentit une voix, pourquoi pas une foi en la vie. En chaque humain dort une autre vie que la mort réveille, une vie qui appelle la vie à vivre, qui débouche sur celle du Dieu de la vie et non des morts.
Luc, porte-voix de Jésus, annonce simplement qu’une vie non tuable existe en toute vie humaine. Ce récit dans les mots d’un hymne nous découvre, indicible, un autre jour, que l’on devine […] figure de l’aube éternelle sur notre route quotidienne et que Dieu, dit Paul, a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9). Ne rapetissons pas ces paroles de Paul aux seuls croyants, voire aux seuls croyants pratiquants un rite liturgique précis.
Deux regards s’affrontent. Deux grandes conceptions de la vie s’affrontent pour citer le philosophe Emmanuel Levinas : celle de l’Antiquité symbolisée par Ulysse qui, après bien des pérégrinations, revient au point de départ et celle représentée par Abraham qui marche vers un ailleurs dont il ne connait pas l’endroit. Quitte ton pays et va vers le pays que je t’indiquerai (Gn 12, 1). Abraham se mit en route comme s’il voyait l’invisible (He 11, 27). L’itinéraire chrétien que sous-tend ce passage de Luc maintient la vie en état de marche.
La famille que nous présente Luc ne marchait pas vers un ailleurs. Elle se souciait de revenir à son point de départ. De qui sera-t-elle l’épouse ? Avec une telle question, la table est mise pour une bonne chicane de famille.
Le tiraillement existentiel de cette famille soulève la question d’un retour au passé ou celle d’un élan, d’un exode, vers le pays que je t’indiquerai comme si on voyait l’Invisible. Christiane Singer, atteinte d’un cancer fulgurant, écrit à la fin de sa vie, que dès que l’on s’arrête, la cause est perdue. Un mois avant sa mort, elle ajoute que l’essentiel est de ne pas m’être attachée à celle que j’étais hier encore ni de vouloir coûte que coûte la reconstituer. Il s’agit au contraire de s’éprendre du jour neuf […]. Chaque jour se doit d’être une création totalement nouvelle[1]. Nous sommes différents chaque jour.
Quand la parole de Dieu ne nous tient plus en marche, elle n’est plus la parole de Dieu. La vie chrétienne est exode, mouvement, marche vers un pays que je t’indiquerai. Nombreux comme cette famille sont ceux qui vivent en sédentaire ! La conversion demandée est de revenir en mode exode, en mouvement. Trop souvent, nous tenons pour acquises une amitié, une relation conjugale. Qui est vraiment certain de croire que la VIE, que le vivant habite toujours sa vie? Cessez de chercher ce vivant, c’est cesser de marcher à sa rencontre, c’est cesser de vivre. C’est le doute qui nous tient en marche, en recherche, et non la certitude. S’ils n’avaient pas douté et partagé leur doute, les disciples d’Emmaüs n’auraient jamais rencontré le vivant.
Nous avons tellement tenu pour acquis que la chrétienté était là pour de bon qu’on a cessé d’en prendre soin, de la maintenir en mode mouvement. Nous devons éviter le «gattopardisme», c’est-à-dire faire semblant de changer quelque chose pour qu’en réalité, rien ne change[2].
L’attitude urgemment nécessaire est de sortir de nos certitudes de foi qui paralysent toute rencontre vraie avec Dieu. C’est dans la pénombre que la lumière est belle, chante Fred Pellerin. Commençons ce travail. Amen.
Tous nous avons été créés pour être éternellement avec le Seigneur (1 Th 4,17).
Autres réflexions sur le même passage :
[1] Singer, Christiane, Derniers fragments d’un long voyage, Éditions Albin Michel, 2007, p. 113-114.
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