Année A : samedi de la 5e semaine du carême (litac05s.20)
Jn 11, 45-57 ; Ez 37, 21-28 : à partir de ce moment-là
Sa vie durant, Jésus est entré dans des villes et des villages rébarbatifs. Son entrée à Jérusalem est du même ordre. Pour les gens simples, les pauvres, les malades, les exclus par le poids de la loi et d’un système social oppressif, Jésus est un solutogénétique[1]. Pour les notables, Jésus est plutôt un perturbateur de l’ordre social, un citoyen dangereux, un hors la loi, parce qu'il mange avec tout le monde, parce que ses amis sont des exclus [c]es chassés du paradis de la loi, pour citer un pasteur engagé dans l’action sociale. Son empressement à offrir le pardon de Dieu sans exiger en retour des gestes sacrificiels (ex. : acheter un agneau, puis l’immoler) est perçu comme blasphématoire.
Certains chercheurs affirment que la décision de tuer Jésus repose précisément sur son geste inacceptable, audacieux et provocateur, de renverser quelques tables (cf. Mc 11, 15-19) dans l’enceinte du temple, ce qui a eu pour conséquence de priver les marchands et les responsables de source de revenu (voir Pagola[2]).
Ce temps de la passion nous invite à contempler un Jésus cohérent pour qui la perspective de la mort ne lui fait pas changer d’attitude. Même menacé de mort, partout où il passe, Jésus sème une graine de vie dans les cœurs (cf. Mc 4, 26-34). C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre (cf. Lc 12,49). L’un des dangers de notre époque est d’adoucir ce baptême et de glisser vers un christianisme sans croix.
Dans sa première homélie adressée aux cardinaux après son élection, le pape François faisait dire à Pierre ceci: je te suis, mais ne parlons pas de la croix. Cela n’a rien à voir. Je te suis avec d’autres possibilités, sans la Croix. Quand nous marchons sans la Croix, quand nous édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans Croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur, nous sommes mondains[3]. Si nous perdons la conscience de la croix, de cette fierté qu’est la croix (Ga 6, 14), l’esprit de l’évangile n’habite plus en nous.
Durant ces jours de la passion, demandons-nous si nous confessons plus un Christ ressuscité qu’un Christ crucifié ? Si nous préférons l’esprit de mondanité, une vie tranquille, confortable ou l’esprit de l’évangile : si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive (Mc 8, 34).
En préparant cette réflexion, je me suis posé cette question : suis-je attiré par la croix ? Quand je note que trois évangélistes (Mc 8, 34, Mt 16, 24, Lc 9, 23) rapportent que suivre Jésus, c’est prendre sa croix, j’en conclus que cette demande étrange doit être vraiment de Jésus. Jésus ne propose pas à ses disciples le même chemin que le sien, celui du Golgotha, mais uniquement de mourir à soi-même, autre chose que de mourir sur la croix. Le texte dit porter sa croix et non la croix de Jésus. Chacun a sa croix toute prête, dit le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer[4].
La croix est une main d’alliance de paix, un sanctuaire de paix, vient de dire Ézéchiel. Elle nous rassemble pour ne faire qu’un dans [sa] main (Ez 37,26). Ce n’est pas en n’agressant et en condamnant qu’on devient sanctuaire de paix, qu’on peut espérer un avenir meilleur, un futur libéré de la haine, de la rancœur, de l'extrémisme et du terrorisme, ni en activant cette zone d’en bas (Maurice Bellet) qui se cache en nous, zone de violence, de racisme, mais en préférant plutôt vivre d’un cœur nouveau et d'un esprit nouveau. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[1] Marguerat, Daniel, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Éd. Seuil, 2019, p. 119
[2] Pagola, José Antonio, Jésus approche historique, Éd. Cerf, 2019, p. 375
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