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2019-C- Jn 6, 35-40- homélie pour funérailles- tu es éternel

Homélie de funérailles : tu es éternel 

Jn 6, 35-40

Chacun d’entre nous avons un regard différent sur la célébration qui nous réunit ensemble. Pierre lui-même avait son propre regard sur les événements.

Je vous partage mon regard sur le sens de notre rassemblement. Un autre porterait un regard différent. Il y a plusieurs regards sur un même événement.

D’abord, une affirmation : au souviens-toi que tu es poussière, on doit ajouter : souviens-toi que tu es éternel. Grégoire le Grand affirmait: tu es terre et tu es monté au Ciel avec le Christ. La foi chrétienne est un vaccin contre la mort.  Elle nous fait voir la mort avec les yeux de Jésus et non  avec les nôtres, avec des yeux projetés vers l’avenir, des yeux de Pâques. Jésus le confirme avec une phrase  explosive : celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors (Jn 6, 37-40). Celui pour qui Jésus est au centre de sa vie n’est pas tuable. Quelle transformation de nos regards que ce passage d’un souvenir mortel à un souvenir éternel ! 

Nous souvenir que nous sommes éternels. Cela n’enlève rien à la réalité de la mort qui est l’arbre qui cache la forêt et qui accapare toute notre attention. Il nous empêche de voir la grandiose réalité : nous ne cessons jamais d’être éternels. Nous sommes des vivants. Rien ni personne, ni Satan ni Dieu, ne peuvent y mettre fin. Ce n’est pas seulement une question de foi. C’est la finalité de l’être que nous sommes. La vie n’est pas tuable. Elle ne fait que se muter en permanence.

Notre rassemblement est un appel à voir au-delà de l’arbre qui cache la forêt. La mort n’est pas un accident mortel. Elle n’est pas invincible. Personne n’échappe à la mort. Personne n’échappe à la vie. Ce n’est pas parce que nous sommes mortels que nous cessons d’être éternels. Nous sommes tous atteints, et c’est terrifiant de le reconnaître, du virus de la vie. Entrer dans la mort, c’est entrer dans la vie. La mort et la vie sont en parfaite symbiose. Pour les scientifiques, cette symbiose est magnifique. Pour le chrétien, cette symbiose ouvre sur une plénitude.

Pour le croyant, la mort est cet acte création-commencement de la vie qui se continue même quand nous la voyons extérieurement inerte. Nous ne sommes pas nés pour la mort, mais pour la résurrection. Saint Paul écrit que nous avons notre citoyenneté dans les cieux (Ph 3, 20).

La vie n’est pas détruite, elle est transformée. Mais qu’est-ce que la vie ? Question ouverte. Elle fait moins de bruit que ce qui tombe. Matthieu nous indique un chemin pour bien vivre sa vie, un chemin qui conduit à devenir éternel. Ce chemin, c'est  prendre soin de l’autre: j’étais malade… en prison… migrant (1 Co 15, 55).

Cette liturgie est plus qu’une mémoire de Pierre. Elle nous fait voir sa mort sous un autre angle, celle de la vie. Nous connaissons bien l’expression souvent entendue au moment de la mort d’un proche, la vie continue. Pour plusieurs, cela peut signifier : on n’a pas le choix, il faut continuer à vivre. Pour le croyant, l’expression doit être entendue littéralement : la vie de Pierre continue. Il étendit les mains afin de briser la mort, pour que la vie soit manifestée. Comme vient de l’exprimer saint Jean au milieu de son discours sur l’eucharistie, la volonté de mon Père est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite (Jn 6, 38). 

La vie que personne ne peut se donner s’ouvre sur un éden, dit le livre de la Genèse; elle se referme sur la Jérusalem céleste, cette cité sainte parée pour son époux (Ap 21, 6), conclut l’apocalypse. Du premier mot de la genèse au dernier de l’apocalypse, se dessine non une fin de vie, mais une fin d'un «moi» sur la terre, et le début d’un «moi» déployé[1].

Entre ces deux édens, il y a l’histoire de Pierre, faite de turbulences et de victoires. Son attitude préférée : poser des questions sournoises. Je ne me souviens pas d'avoir répondu à ses nombreuses questions. Pierre était plutôt empressé à me donner sa réponse. À vrai dire, ce ne sont pas mes réponses qui l'intéressaient. Pierre avait un besoin profond d'être écouté, entendu. Ce qui m’étonnait toujours, c’est que je percevais Pierre comme quelqu’un qui au-delà de son image d’homme fort, rationnel, avait besoin de se sentir approuvé dans sa perception de lui-même, de sa foi. Ses questions posées avec un pince-sourire étaient des vraies questions. Des questions révélant son souci de viser toujours plus haut, toujours en avant. Pour lui, une vie non vécue en profondeur ne vaut pas la peine d'être vécue, car ce n'est pas la vie (Socrate).

À plusieurs égards, Pierre vivait une grande insécurité intérieure qu'il cachait par des allures imposantes. Au tréfonds de lui-même, il vivait une grande sensibilité qu'il avait peine à exprimer, qu'il exprimait par son malaise devant des réunions de famille.

Ces nombreuses questions étaient des brèches qui laissaient filtrer une fragilité émotionnelle étonnante. Elles étaient des laissez-passer pour franchir la porte de son monde intérieur. Peut-être  sommes-nous arrêtés qu'aux questions sans entrer par la porte étroite qu'elles entrouvraient ?  

J'en fus témoin, Pierre souffrait de ne pas démontrer facilement ce qu'il éprouvait. Il était très conscient qu'il aimait mal. Qu'il était un analphabète quand il s'agissait d'exprimer toute la profondeur de son amour pour Camille, pour les siens.  Son merci qu’il adressait à Camille lors de sa prise de  parole à l’occasion de son décès exprimait en peu de mot, son monde intérieur.

 Je conclus par ces mots de notre poète québécois, Gilles Vigneault, interrogé sur sa foi à l’approche de ses 91 ans, par Stephan Bureau à son émission bien entendu en juillet 2019 : je crois à l’âme. Ça n’a pas nui à mon corps jusqu’à maintenant. Je crois qu’on a quelque chose qui nous survit, après. C’est pourquoi j’ai dit dans [la chanson] Vivre debout, pour me survivre […]   je chante pour vivre au-delà de la vie. Alors, qu’on me laisse m’éteindre comme une vieille chandelle, de ma belle mort, je trouve ça normal. Très souvent, je parle de ma mort, comme ça, avec beaucoup de légèreté. Ma blonde n’aime pas ça, et je la comprends, mais je trouve que ce n’est pas parler de ma mort qui la fait venir ou qui l’éloigne […]. La mort n’est pas un naufrage […] c’est accosté au quai […] c’est une fin de voyage. On n’a pas besoin de faire un naufrage de la mort. Il ajoute ces mots d’une profondeur abyssale, des mots de tout le monde, des chrétiens inclus, des nôtres aussi  rien n’est plus sûr que le doute.

 

1] Pilote, Marcia, À la vie, à la mort, Éd. Libre expression, 2017, 200 pages

 

 

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Date: 
Vendredi, 1 novembre, 2019

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