Année C: Mardi octave de Noël (litcn00m.15)
Luc 2, 22-35 : Syméon, des yeux qui voient tout à l'envers
Quelle richesse dans ce texte que nous venons d'entendre ! En ces jours octaves de Noël, il appelle à nous donner, comme ce vieillard Syméon, un regard qui voit. Oui, il y a des regards qui ne voient rien. Nous voyons, dit le philosophe Heidegger, non pas parce que nous avons des yeux, mais nous avons des yeux parce que nous sommes voyants par le fond de notre nature.
Son regard change un événement ordinaire, un rituel bien suivi par tout parent, en surgissement du divin. Événement ordinaire inscrit dans les mœurs de l'époque que cette entrée de tout premier né au temple. Dans cet ordinaire humain se cache l'humanité nouvelle. De tout temps, nos yeux éprouvent de la difficulté à défoncer l'humain pour y découvrir la folie d'un Dieu désirant nous rencontrer dans notre quotidien.
Il y a quelque chose de bouleversant dans cette scène du temple. Ce qui fait la joie de Syméon, de ses yeux qui ont vu le salut, c'est de percevoir, de toucher Dieu dans cet enfant. Dans ce qu'il y a de plus petit. Son message est celui d'un monde à l'envers. Dieu est à chercher vers le bas et non en élevant les yeux au ciel. Dieu descend si bas, se fait si minuscule, si impuissant que c'est Lui qui doit lever les yeux pour nous voir. Accueillir un Dieu qui me regarde par le bas c'est presque insupportable. D’ailleurs, saint Pierre avait vivement repoussé une telle attitude. Il s'est rebiffé de voir Jésus à genou devant lui pour lui laver les pieds. Non, jamais (Jn 13, 8).
Nos regards nous placent au dessous de Jésus. Ils voient en Dieu quelqu'un de plus grand que nous. Or Syméon a tellement passé sa vie en chercheur de Dieu qu'il fait, avant de mourir, l'expérience de le trouver non pas au dessus mais en dessous de lui. C'est tellement illogique à ses yeux. Et aux nôtres aussi.
La scène du temple nous confirme que l'arrivée de Jésus vient inverser nos regards. Comme Jésus le dira lui-même, le fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir (Mt 20, 28).Oui, tout, vraiment tout est inversé. Le plus petit est le plus grand. Mais Dieu est tellement tombé amoureux de ce qui est petit qu'il a pris la dernière place.
Dieu a vu, écrivait au moyen-âge le théologien Guillaume de Saint Thierry, que sa grandeur provoquait chez Adam de la résistance [...], qu'il se sent[ait] limité dans sa liberté. Il a choisi une voie nouvelle, Il est devenu enfant. Il s’est rendu dépendant et faible, nécessiteux de notre amour. Aujourd’hui, nous dit ce Dieu qui s’est fait petit enfant, vous ne pouvez plus avoir peur de moi, désormais vous pouvez seulement m’aimer.
C'est l'expérience de Syméon dans le Temple: seulement aimer cet enfant. Pour être aimé, le langage de Dieu est celui de la fragilité et de la confiance d'un enfant qui s'en remet entre les mains des «grands». Dieu a pris le visage d'un enfant afin que son regard vienne illuminer nos nuits. C'est l'expérience de grands-parents qui tiennent dans leur main leur petit-fils. Son arrivée les fait vivre et les transforme en profondeur.
L'image de la vraie grandeur de Dieu que Syméon nous offre à contempler se trouve évoquée dans ces mots du poète et philosophe Hölderlin : Ne pas être enfermé par ce qu’il y a de plus grand, se laisser enclore par ce qu’il y a de plus petit, voilà ce qui est divin.
Ce matin, en priant cet Évangile, donnons à Dieu la place qu'il recherche : se tenir plus bas encore que nous-mêmes. Dieu se fait le plus petit parmi les plus petits pour s'éviter une intrusion forcée dans nos vies. Il s'invite par la porte sainte de l'humilité. Dieu a éprouvé le besoin profond de se confondre à nous afin de nous aimer tels que nous sommes.
Ce chemin, Jésus l'a choisi à la crèche. Il l'a confirmé dans le temple. Il en a fait la devise de toute sa vie. Il n'y a rien de plus grand que ce qui est petit. Que nos regards admirent cela à chaque instant de notre quotidien. AMEN.
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