Année B : samedi de la 2ième semaine ORDINAIRE (litbo02s.24)
Mc 3, 20-21 : entre deux mondes
Jésus refuse d’être piégé dans ce que nous appelons la normalité qu’il n’a pas idéalisée. Il a plutôt favorisé une porte de sortie au fameux qu’on a toujours fait comme ça. Il dépoussière des pratiques millénaires quand il regarde toute situation avec respect. Parce qu’il passe d’un regard sacrificiel à un regard de miséricorde, on le dit cinglé. Il s’impose de ne pas performer selon les us et coutumes habituels. Son attitude conteste la soi-disant normalité, apporte de l’air frais dans un environnement social fermé ; dans une religion où le respect de la lettre de la loi interdit tout contact ou proximité avec les « impurs », les gens d’en bas, d’à côté du chemin. Il est à l’aise au milieu d’eux.
Son attitude libératrice est vécue comme un temps de grâce pour les nombreux hors la loi qui longent sa route, même s’il n’est pas sans savoir qu’elle soulève beaucoup d’opposition. Les habitués de l’évangile n’ignorent pas que Jésus a choisi de s’asseoir entre deux mondes, celui du correct et du pas correct. Alors que pendant des siècles, tout se réglait avec minutie par la loi de Moïse pour se protéger contre la contamination des « impurs », Jésus ouvre une brèche sur une autre loi. Avec lui, c’est la loi de la miséricorde qui doit contaminer ce qui est impur. Renversement radical et qui le demeure aujourd’hui.
Jésus ouvre un espace nouveau, tellement nouveau que l’on considère son comportement comme celui d’un cinglé, d’un malade mental. Il attaque de front de fausses certitudes comme celle qu’il est peu méritoire pour un croyant de se tenir près des tables de personnes considérées comme non pures. Il respecte les personnes apparemment sans importance, porte une grande attention à des petits gestes anodins comme parler à des enfants. La déclaration Fiducia supplicans est de cet ordre.
Jésus fait plus que de déconstruire la normalité. Il dicte une nouvelle « normalité ». Il ne fait pas que de s’arrêter en passant pour saluer des gens non conformes au statu quo. Il demeure avec eux, au milieu d’eux, mange avec eux à leurs tables et dénué de protection antivirale. Pour lui, la meilleure critique du mauvais est la pratique du mieux.
Un rabbin exprime très bien cela quand il dit à propos de Jésus qu’il a vécu à côté du chemin. De nombreux géants spirituels comme saint François, Julien de Norwich, Dorothy Day et Mohandas Gandhi ont pris ce chemin. Pour nous dire que Jésus a perdu la tête, je vous offre ce qu’écrit une jeune romancière indienne Arundhati Roy[1] qui contient tout l’évangile.
Est-ce utopique, folie, impossible que de vouloir que tous les êtres humains soient égaux en droit et en dignité et que les étrangers soient considérés comme des frères ?
Est-ce utopique, folie, impossible que de vouloir que chaque être humain, mange, soit logé, aille à l’école, ait un travail ?
Est-ce utopique, folie, impossible que de vouloir que les maladies soient éradiquées que l’accès à l’eau soit un droit pour tous ?
Est-ce utopique, folie, impossible que de vouloir que les femmes et les enfants ne sautent plus sur des mines antipersonnelles ?
Est-ce utopique, folie, impossible que la force, la guerre et l’argent ne soient plus des instruments de domination et d’exploitation ?
Alors ? si on me traite d’utopiste, j’assume et j’en suis fier, fier d’être parmi ces milliers de fous qui peuplent l’univers et qui croient qu’un autre monde est possible, indispensable !
Un autre monde où la vie d’une seule personne vaudra plus que tout l’or du monde, car ce monde, chaque personne de ce monde, Dieu les habite. Il en est le Père !
Beaucoup d’entre nous ne serons plus là pour assister à son avènement, mais quand tout est calme, si je prête une oreille attentive, je l’entends respirer.
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