Année A : samedi de la 2e semaine du CARÊME (litac02s.23)
Lc 15, 1-3.11-3 : tout ce qui est à moi est à toi.
J’attire votre attention sur l’affirmation prononcée par le Père de la parabole : tout ce qui est à moi est à toi. Aucun des fils ne l’a vraiment compris. Le fils cadet au lieu de jouir de tout l’héritage, il en réclame une portion. Il part avec moins que ce que le Père pouvait lui donner. Le fils aîné ne le comprend pas davantage. Il refuse la fête parce qu’il ne voit pas que c’est aussi sa fête. Les deux ne partagent pas la générosité du père. Les deux veulent une générosité mitigée. Ils veulent moins que ce que le père veut leur donner.
L’un veut seulement la moitié qu’il dépense frivolement. Il se retrouve quasiment esclave. Son malheur n’est pas de se retrouver sans argent, c’est de ne pas sentir aimer. Sa décision de retourner vers son père est un aveu de son besoin d’être aimé malgré son errance. Il l’aperçoit, il court, il l’embrasse. Fête des retrouvailles.
L’aîné, lui, le modèle de l’esprit familial, refuse d’être de la famille. Il se croit dans la maison de son père alors qu’il est dehors. Il ne voulait pas entrer (v.28). Avec colère, il dit à son père : ton fils est revenu, et non mon frère. Lui aussi est dans un système de revendication : tu ne m’as jamais donné un chevreau.
Son attitude démontre une relation d’apparence, de surface. Sa vie est vécue en mode commandement, en mode devoir. Il fait penser aux pharisiens qui pratiquent une religion intéressée, pour avoir la récompense éternelle. Il refuse la fête parce qu’il ne voit pas que c’est aussi sa fête. Tous les deux veulent manger, mais pas à la table où tout est partagé. Et le père pose à l’endroit de son fils aîné, physiquement près de lui, mais loin comme son frère cadet, un regard de guérison. Il le supplie.
Le père accueille à bras ouverts son fils perdu jusqu’à lui remettre une bague au doigt. Il s’efforce de toucher d’un même élan le cœur de celui qui ne se croit pas perdu. Il court vers l’un et supplie l’autre. Dom Helder Camara disait : l’un s’est réveillé de son péché, quand donc l’autre se réveillera-t-il de sa vertu ?
Les deux voient leur père comme un donateur de ses biens. Le père leur indique par des chemins différents que ce tout ce qui est moi est à toi est à entendre à un autre niveau, celui de son amour. Quoi qu’il arrive, je vous aimerai toujours, leur dit-il. Cela se voit, s’expérimente tous les jours chez des parents dont le fils a fugué, voire les menaces de mort. Quel père donnera un serpent au lieu d’un poisson (cf. Lc 11, 11).
Le message de cette parabole est limpide. Tout ce qui est à moi est à toi. Il faut réentendre ces mots, les laisser entrer en nous. Tant que nous sommes en communion de proximité avec Dieu, avec les autres membres de la famille, nous sommes dans l’abondance. En s’éloignant de cette communion comme le cadet ou la refusant comme l’aîné, tôt ou tard surgit une famine intérieure, une sécheresse du cœur qui annonce désespoir et découragement.
Le père convie ses deux fils à se retrouver frères. Pour abattre le mur qui les sépare, il les convie de célébrer et de se réjouir à une même table, celle de l’abondance. En présence de ces deux fils en crise, le père leur parle le langage du cœur capable de transformer une culture de guerre en culture de paix. Contemplons sa joie plutôt que l’attitude déloyale de ses deux fils. Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion (cf. Lc 15, 7)
Que ce soit la voix du fils cadet brisée par l’émotion, que ce soit celle du frère aîné grondant de colère, il faut du temps, beaucoup de temps, parfois une vie entière pour entendre au-delà de nos blessures, une autre voix, celle de l’amour d’un père qui nous dit à chacun de nous tout ce qui est à moi est à toi. Ce sont des paroles de guérison, empreintes de tendresse. Chaque fois que nous confessons nos fautes, nous refaisons l’itinéraire du fils prodigue.
Nous sommes tantôt l’aîné, tantôt le cadet. Il faut aller plus loin, descendre dans notre spirale vers le bas jusqu’à devenir à notre tour ce père ou mère pour notre monde. Jusqu’à regarder les autres dans les yeux et non pas des yeux. Le fils aîné de la parabole regardait les yeux de son frère, pendant que le père regardait, dans les yeux, son fils retrouvé. AMEN.
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