Année A : samedi des Cendres (litac00s.23)
Lc 5, 27-32 : Les « bons à rien » de Jésus.
J’ouvre ce carême par ce dicton : il n’y a pas de saint sans passé et il n’y a pas de pécheur sans avenir. Jésus s’est littéralement tué pour aider toute sorte de monde. Je suis venu pour les malades. Cela n’est pas compris par ceux qui ont la présomption (des pharisiens de toutes les époques) de se croire meilleurs que les autres.
Ma conviction profonde est que le mot carême est devenu un mot pieux alors qu’il appelle à vivre une expérience intérieure. L’expression « faire carême » ne conduit pas nécessairement à un voyage intérieur de mise à jour de la nouveauté de Jésus dans nos vies. Nous avons de ce temps de conversion une perception erronée qui se réduit à faire le minimum plutôt que le maximum. L’appel à la conversion est un processus de changement qui ne s'arrête pas. Advenir à soi-même, devenir soi, devenir chrétien ne s’arrête jamais.
La décision de Lévi de suivre Jésus n’est pas d’ordre éthique. Elle résulte d’une vraie rencontre avec la personne de Jésus alors qu’il était à sa table de travail ; d’une rencontre qui ne sera jamais linéaire. Il ne s’agit pas de passer d’un point A à un point B. Cela risque de s’arrêter à quelque chose de purement extérieur. Notre image de la conversion est déformée, souvent axée sur le visible.
Jésus appelle Lévi à entrer dans un mouvement en forme de spirale vers sa profondeur. Cela ne se réalise pas instantanément. Il y a avancement et recul, déplacement et recentrage continuent. Paradoxe, même si nous vivons dans un environnement changeant, tout mouvement de changement, thérapeutique ou pas, fait peur. Il faut des heures de discussion ici pour apporter un moindre petit changement. Il faut renaître chaque jour avec des yeux neufs. L’écrivain anglais Lawrence écrivait déjà au siècle dernier que les gens ont peur de faire l’expérience qui pourrait les bouleverser. Entreprendre une véritable spirale intérieure fait peur même si elle est fortement désirée.
Assis près de Jésus, Lévi n’a pas passé son temps à s’excuser. À force de s’excuser, nous perdons de vue l’autre. À répéter, Seigneur, prends pitié, nous ne voyons plus la miséricorde de Dieu. Lévi n’a pas craint d’expérimenter une nouvelle manière de vivre. Il s’est mis à pratiquer le bien, à partager son avoir acquis illégalement, à réparer le mal qu’il a fait. Il s’est mis en mode « évangile » qui sera toujours en forme de spirale. Si tu donnes à celui qui a faim, ta lumière se lèvera sur les ténèbres. On t’appellera : celui qui répare les brèches, celui qui remet en service les chemins (lecture).
Le désir de devenir meilleur surgit en permanence en nous. La pire chose qui puisse nous arriver est le fixisme, c'est-à-dire la conviction cachée de n'avoir pas besoin de rien changer[1]. Il ne s’agit pas de prendre une distance face à ce qui n’est pas correct dans nos vies. Il s’agit de pratiquer le bien. L’hérésie ne consiste pas à prêcher un autre Évangile (cf. Ga 1, 9), mais à omettre de traduire celui-ci dans nos vies[2]. C’est cela le carême.
Nous devrions mener en tout temps, observe saint Benoit dans sa règle (RB 49,1) un genre de vie pareil à celui du carême. Une vie tournée vers le Seigneur. Devant l'Évangile, nous restons toujours comme des enfants qui ont besoin d'apprendre ce qu’est la miséricorde de Dieu.
Ces prochaines semaines, nous entendrons des paroles qui sont les mêmes années après années. Elles ne changent pas. C’est nous qui, marchant ensemble, formant communauté, commençons à mieux les comprendre. Et notre compréhension est loin d’être terminée.
Je conclus par cette suggestion du pape lors de la liturgie des Cendres (2022) : démasquons ensemble les peurs de changement que nous vivons. Cela nous fera progresser. Comme l’exprime un hymne liturgique, n’espérons pas tenir debout sans l’appeler puisqu’il est avec nous dans nos jours de faiblesse, celui qui brûle nos cœurs. AMEN.
[1] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2022/december/documents/20221222-curia-romana.html
[2] Ibid.
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