Année C : mercredi 4e semaine de l’Avent (litca04me.21)
Lc 1, 46-56 ; 1 S 1, 24-28 : apprendre à décroître.
Nous avons besoin de nouvelles cartes pour découvrir le sens de la vie. Chaque jour des directions nouvelles nous sont offertes. Nous venons d’entendre Marie nous offrir une carte qui a guidé sa vie. Elle contient l’itinéraire pour réussir le développement intégral de la personne humaine, disait le pape Benoît. La pierre d’assise de cette carte s’appuie sur les premiers mots entendus. Mon âme exalte le Seigneur. Il s’est penché sur son humble servante. Louer sera toujours une forme de dépossession de soi-même.
Il est facile de saisir que le pont de départ de son trajet vers le plein développement personnel est à l’antipode de la recherche de soi priorisée par notre culture, aux antipodes des grands shows de la dépersonnalisation où la personne s’éclate au lieu de se trouver. Le trajet de Marie s’appuie sur une impulsion intérieure : se libérer de la servitude du moi pour vivre à fond. Elle expérimente qu’elle n’est pas le centre d’elle-même. Prenez garde, écrira Paul, de ne pas être tentés de vous-mêmes (Ga 6,1). C’est le plus grand défi actuel : vivre mieux avec moins de « moi ».
Pour les uns, cette carte est inconstitutionnelle tant spontanément on cherche à se mettre en avant. Pour d’autres, elle trace le profil qu’une vie épanouie passe par l’oubli de soi. Qu’une vie en Dieu s’expérimente dans une réelle proximité avec les petits. Nous vivons tout dans l’horizon fermé et exclusif de notre « moi ». On se louange plus qu’on louange ; s’apprécie plus qu’on apprécie les autres. Existe aujourd’hui, écrit Jean-Pierre Denis, le business du ‘développement personnel’[1].
La carte que propose Marie affirme que l’être humain est ainsi fait qu’il ne se réalise, ne se développe ni ne peut atteindre sa plénitude que par le don désintéressé de lui-même. L’individualisme radical est le virus le plus difficile à vaincre (Fratelli tutti # 87). Si tu sors complètement de toi-même, Dieu entrera tout entier (Tauler)
Cette carte trace le mystère de la descente comme chemin de développement intégral ; comme chemin pour monter dans la vie, mon ami monte plus haut (Cf. Lc 14,10), pour monter dans la vie spirituelle aussi. Cette carte-chemin n’est pas facilement réalisable tant la gloire de Dieu a besoin de beaucoup d’espace, d'un vide intérieur, pour se manifester.
Cette carte, si on en suit le tracé, évite de magnifier Dieu par la langue et de le renier par nos actes. En nous l’offrant, Marie nous ouvre à une vie de louange. Cette vie n’ajoute rien à la grandeur de Dieu, elle fait seulement briller cette grandeur inconnue des gens de ce monde.
Écoutons bien ce que nous propose Marie : si nous exaltons le Seigneur en acte et en parole, il nous exaltera. Il relève les petits. Il n’oublie pas de leur manifester sa bonté. Il comble de biens ceux qui ont faim. Il met en déroute les cœurs orgueilleux. Aux yeux de Marie, elle vient de le chanter, magnifier le Seigneur, c’est se laisser magnifier par Lui. Avec ce chant, nous changeons d’époque. Nous passons de l’ancien temps au nouveau. Il ne s’agit plus d’offrir en sacrifice des bêtes comme dans l’ancienne alliance, mais plutôt d’être sacrifice de louange. Voilà où nous conduit cette carte : elle ouvre sur un temps nouveau, celui de se savoir des graciés de Dieu. Quel inouï renversement !
Ce renversement contient toute la grandeur de la naissance de Jésus dans notre histoire. Jésus se range du côté des derniers, du côté des préférés de Dieu. Il s’est abaissé, s’est délesté de sa grandeur pour nous élever à la dignité de fils de Dieu. Il s’est fait homme pour que nous devenions divin.
En ces derniers précédents Noël, demandons-nous si nous exaltons Dieu seulement dans nos cœurs ou si nous contribuons à ce que notre monde l’exalte aussi. Cette carte-boussole nous indique qu’exalter le Seigneur dans l’esprit de Marie et avec sa même intensité nous conduit à semer dans nos Noël un chemin toujours en construction, parsemé d’icônes oranges, mais qui ouvre sur la joie d’être des élus, des choyés de Dieu. AMEN.
[1] Jean-Pierre Denis – un catholique s’est échappé, Paris, Éd. Cerf, 2019, p.170.
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