Année B : mercredi de la 15e semaine ordinaire (litbo15me.21)
Mt 11, 25-27 : s’enraciner dans la gratitude.
Nous venons d’entendre l’une des merveilles d’une vie de foi : la louange. Père, je te rends grâce. Jésus unifie le ciel et la terre. Pour entendre cela, il faut monter sur la montagne (Cf. Mc 9, 2). Il faut des yeux capables de voir. Vous avez des yeux et vous ne voyez pas (Cf. Mc 8, 18). Pas facile que cette vie de louange, parce qu’elle suppose de descendre de notre piédestal. Nous avons été éduqués à faire tous les soirs notre examen de conscience pour y découvrir les points noirs de notre journée. Rarement, avons-nous été invités à chercher à qui je dois des « dettes » de reconnaissance au terme de la journée.
Qui sont mes bienfaiteurs de tous les instants ? Qui aujourd’hui a apporté du soleil à ma vie ? Qui fut pour moi une présence qui m’a fait du bien ? Qui a vite oublié mes maladresses ? Envers qui ai-je un devoir de reconnaissance ? Toutes nos inquiétudes ou angoisses sur ce qui nous manque viennent de notre incapacité d’apprécier ce que nous avons. Rien ne s’oublie aussi vite que le bien qu’on nous fait. Il est beau de voir le monde, nos vies, avec gratitude et louange. Tout se met à vivre. La vie devient belle tant l’ego n’est plus le centre de notre vie. C’est dire bonjour à la tristesse[1].
L’apôtre Paul écrit aux Romains que la seule dette que nous avons envers les autres est la louange (Rm 13, 8), la reconnaissance. Aimer assez les autres pour savoir apprécier non seulement ceux qui pensent comme nous, qui partagent notre credo. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, les païens en font autant (Cf. Mt 5, 46). C’est au prix de sa vie que Jésus nous a dit que nous sommes beaux. Père, je te rends grâce. Nous avons besoin d’un anticorps pourtant bien connu pour combattre ce virus de « chialeux », de « contestataires » permanents qui nous colle à la peau, c’est la reconnaissance, la louange.
Il y a beaucoup à dire sur l’impact d’une vie de louange, d’appréciation. C’est passer, pour citer une image de Thérèse d’Avila, d’une vie de ver de soie, d’une vie difforme, sans beauté, à une vie papillon qui sait voler avec élégance d’une fleur à l’autre (5e demeure, chap.2). Nous sommes des « possédés » par le noir, rarement des « possédés » par tous ces petits gestes de rien qui nous ressuscitent quand nous les apprécions. La louange comme la gratitude dégage une chaleur comme celle d’un rayon de soleil au sortir de longs mois d’hiver, ouvre sur une grande paix intérieure et a des effets paradisiaques, presque aphrodisiaques.
Pour un chrétien, c’est un commandement. Il n’est pas convenable que vous prononciez des paroles grossières. Adressez à Dieu des prières de reconnaissance (Cf. Ep 5, 4). Vous êtes un peuple choisi […] pour proclamer les louanges de celui qui vous a appelé des ténèbres à sa merveilleuse lumière (1 Pi 2, 9-10). La louange sied aux hommes droits (Ps 33, 1). Jésus s’est appliqué ce commandement : Père, je te rends grâce. Ce fut la manière de vivre de Marie. Mon âme exalte le Seigneur.
Je suis toujours étonné d’entendre qu’il faut la mort de quelqu’un pour l’apprécier. La mort d’un proche fait découvrir un autre versant de sa vie. N’attendons pas la fin du jour (hymne) pour apprécier.
L’inouï de cette attitude de louange, Père, je te rends grâce, l’évangile en parle comme d’un fardeau léger. Ce joug est facile à porter. Le fardeau que je vous propose est léger. Dans un monde de violence, on est « sans merci ». Dans celui de l’évangile, cette attitude nous fait passer de la guerre à la paix, de la haine à la réconciliation, de l’inimitié à la relation. Quand nous savons apprécier les petites choses de la vie, la température de nos discordes s’évanouit et annule la violence potentielle entre nous.
Il est beau de voir le monde avec gratitude. De vivre avec gratitude. Une recherche américaine démontre qu’apprécier, que rendre grâce dit l’évangile, ajoute de la longévité à la vie. Tout devient miracle d’un vivre ensemble en harmonie. Ce passage de l’évangile trace un chemin pour réaliser le projet de Jésus d’un monde fraternel.
La poétesse Marie Noël affirme qu’on a plus à gagner à faire un examen conscience sur les dettes de l’amour plutôt que de vouloir récurer (nettoyer) son âme. Vivre de gratitude est source de guérison. Elle écrit dans ses notes intimes : je crois bien que cet exercice de reconnaissance si confiant, si affectueux, doit faire plaisir à Dieu autant qu’à moi-même – bien plus que, jadis, mes fouilles de conscience – et si j’étais mère Abbesse, ou simplement mère de famille, je l’enseignerais à mes enfants. Amen.
[1] Vergely Bertrand, Retour à l’émerveillement, Ed Albin Michel, 2010.
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