Année B : samedi de la 4esemaine de Pâques (litbp04s.21)
Jn 14, 7-14 ; Ac 13, 44-52 : Le Père ne s’explique pas, il s’expérimente.
Nos conversations portent habituellement sur ce qui nous différencie. Nos divergences d’opinion occupent la première place dans nos échanges. Jésus, l’œcuménisme en personne, dit Maurice Zundel, préfère nous partager son intimité avec le Père plutôt que d’insister sur ce qui le distingue du Père.
La plus belle œuvre de Jésus fut de ne pas retenir jalousement, égoïstement, pour lui tout seul, son intimité avec le Père. Lui habituellement si peu expressif sur sa vie spirituelle, nous montre dans sa grande prière dite sacerdotale, qu’elle est nôtre : Père juste […] ceux qui ont reconnu que tu m'as envoyé. Je leur ai révélé ton nom et le leur révélerai, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux (Jn 17,25-26).
Je suis dans le Père et le Père est en moi. Ce n’est pas une vérité dogmatique à croire. C’est la révélation de la proximité de Jésus avec son Père. Ce qui est presque incroyable, c’est que cette proximité est aussi la nôtre. Jésus rend cette intimité accessible à tous. Il dit à Philippe que lui aussi est fils du Père. Le Père et moi sommes un. Cela s’applique à chacun d’entre nous. L’expérience de Jésus d’être dans le Père diffère de la nôtre seulement par son intensité. Cette révélation nous transforme à sa ressemblance (Cassien, Conférence, XIV, 10).
Chaque fois que je lis, relis, lis à nouveau ce passage de Jean, j'ai toujours la même impression : je ne comprends pas comment cela est possible. Comment puis-je avoir accès à une telle intimité ? Une affirmation du pape François me réconforte : un chrétien pour qui tout est clair et sûr ne va pas rencontrer Dieu. Augustin répète : si tu comprends, il n’est pas Dieu.
Comment est-ce possible d’être un ami du Père, d’entretenir une conversation en profondeur avec lui alors que l’image populaire le place dans un lieu inaccessible, lointain ? Je trouve la réponse dans la bouche même de Jésus : c’est à moi que vous l’avez fait (cf. Mt 25, 31-46). Nous ne rapetissons pas le Père en prenant ce chemin. Nous n’enlevons rien à sa transcendance. Nous évitons seulement de le désincarner. Le Père n’est pas un être lointain, séparé de l’humain. Si je ne suis pas proche des affamés, des assoiffés, des sans-logis, des sans-papiers qui sont autant des sacrements visibles de Dieu, je ne suis pas proche de Dieu. Jésus déclare à Philippe qu’il lui faut refaire son image du Père.
Le Dieu que Philippe s’imagine n’existe pas. Il n’est pas un être se tenant dans des hauteurs inaccessibles, il se voit dans le visage du moindre des humains. Jésus fait voir à Philippe que la densité de sa proximité avec les humains qui l’entourent exprime la profondeur de sa filiation avec le Père. Qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu (1 Jn 4, 16). Aucun d’entre nous n’arrivera à partager avec les autres la même profondeur de proximité de Jésus avec nous. Ce qu’il a appris de son expérience avec le Père, il ne le fait connaître.
Il est facile de déduire que Jésus et son Père vivent en mode synodalité, en mode égalité, pas l’un au-dessus de l’autre ni au-dessous de l’autre. La diversité n’abolit jamais la proximité. Ce mode ferait bien des heureux s’il s’inscrivait dans nos gènes, dans ceux de l’Église. C’est rêver que d’attendre cela tant nous sommes en promotion permanente de soi !
Pour Jésus être dans le Père signifie qu’il n’existe plus pour lui-même et qu’en le voyant nous voyons quelqu’un d’autre. Nous l’expérimentons : plus notre intimité est grande avec quelqu’un, plus nous parvenons à nous dépouiller de notre moi pour être avec lui. Paul a des mots explosifs pour dire cela : vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes (1 Co. 6, 20). En nous voyant vivre, est-ce qu’on voit quelqu’un d’autre vivre en nous ? Quelqu’un qui ne s’appartient plus tant il appartient au Christ ?
Sur la montagne du Sinaï, Moïse, le plus grand des contemplatifs, a lancé vers Dieu cette prière bouleversante : de grâce, fais-moi voir ta gloire ! (Ex 33, 18). Il a vu quelque chose de la gloire divine (Ex 33, 22). Sur la terre de Palestine, Philippe a supplié Jésus de lui montrer quelque chose de sa vie intérieure et Jésus lui a montré que sa plus belle œuvre est de voir le Père sur chaque visage humain. Voir cela, c’est voir le Père, que je suis dans le Père.
À votre contemplation : Pour être dans le Père, Claire d’Assise propose à Agnès de Prague son propre chemin : pose ton esprit sur le Christ miroir éternel, pose ton âme […] pose ton cœur […] et transforme toi tout entière dans l'image de sa divinité. AMEN.
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