Année A : mercredi de la 11e semaine ordinaire (litao11me.20)
Mt 6, 1-6.16-18 ; 2 R 2, 1.6-14 : la générosité, un commandement ancien et nouveau.
Ce dont il est question dans ce passage de Matthieu que la liturgie nous fait entendre le mercredi des Cendres est une ouverture de nos vies sur notre identité profonde. Nous sommes des êtres de partage, de générosité, l’autre nom de l’aumône.
Sur la montagne, Jésus dessine le contour de notre identité. Il dicte un nouveau paradigme à la vie : la générosité. Le baptême invite à naître à un nouveau rapport au monde et aux autres, à un changement de paradigme (ou de logiciel) pour un devenir qui n’est pas repliement sur soi ni sauvegarde de nos biens. Il ne s’agit plus de promouvoir la devise «tout pour moi et moi au-dessus de tout».
Le refus de cette fascination fut la marque des premiers chrétiens : nul n’était dans le besoin. Ils mettaient tout en commun, refusaient que l’amour de l’argent les divise. Ils vivaient d’un seul cœur et d’une seule âme (cf. Ac 4, 32-37). Cela peut sembler utopique alors que souvent la mise en commun d’un héritage divise et sépare à jamais beaucoup de familles. Communion et partage, Jésus en fait un chemin pour attester l’arrivée de la bonne nouvelle.
La générosité, l’autre nom de l’aumône, transforme des vies, celles qui en bénéficient et celles qui la donnent. Elle dit la grandeur et la profondeur de tout humanisme. Nous avons tous la capacité d’être [un] messie les uns pour les autres (Loïc de Kerimel). C’est le tout premier commandement. Quand je fais mes courses à l’épicerie, il est fort à parier que le 100% de mes achats est pour moi. Dans mes décisions quotidiennes, mes envies prennent souvent toute la place. Et s’il y avait un petit 5% pour une œuvre humanitaire, mon épicerie comme mes décisions se transformeraient en commandement nouveau, attestant un changement d’époque plutôt qu’une époque de changement (Saint Jean-Paul II, Lettre du nouveau millénaire).
Ce commandement nouveau il se voit en exercice dans des gestes d’entraide au milieu des scènes morbides de nos médias de masse ; il s’observe dans la piécette jetée à la hâte dans un gobelet d’un sans-abri ; il émerveille quand des jeunes de fin secondaire donnent de leur temps pour construire un hôpital au Honduras ; il interpelle en observant des soignants remettre debout ceux que la maladie a mis à genoux et même d’y laisser leur vie comme celle de Victoria Salvan, préposée dans un CHLSD ; il repousse les peurs et les hésitations à joindre nos mains et nos bras lors de pandémies de toutes sortes.
La générosité, cachée sous ce petit 5% de nos achats ou décisions, est un trésor plus précieux que l’or ou l’argent. Ce geste d’offrir dans les mots de Jésus un simple verre, un petit 2$, dit une publicité, fait de ceux qui le posent des disciples de Jésus, des créatures nouvelles, peu importe qu’ils soient croyants ou pas, pratiquants ou pas. La profondeur de ce petit 5% demeure cachée dans le fond des cœurs.
Ce commandement nouveau, au moment où la vie économique reprend lentement la route, allons-nous l’oublier en ignorant ceux qui tombent sur le bord de la route, incapables de se remettre en route ? Il impose de ne pas désirer revenir en arrière comme avant. Ce serait absolument terrifiant, dit Bruno Latour dans une interview à France Inter en avril dernier, de ne pas profiter de cet arrêt général pour ne pas infléchir un système dont on sait… qu’il nous précipite vers une catastrophe[1] pour l'humanité, écologique aussi.
Le pape François a bien cerné ce danger : le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent. Il se transmet à partir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pour moi. On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler sur l’autel du progrès celui qui est en arrière[2]. Il invitait à mettre tout en commun comme les premiers chrétiens (cf. Ac 2, 44-45).
Une bonne question à nous poser : qu’est-ce que je n’ai pas encore donné et gardé pour moi tout seul ? Sainte Faustine a dit à Jésus qu’elle lui a offert toute sa vie, tout ce qu’elle possède. La réponse de Jésus l’a bouleversée : tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment [...] Donne-moi ta misère (10 octobre 1937). Elle écrit plus loin dans son journal que nous devrions voir Jésus crucifié [dans le nécessiteux] et non un parasite [parce que] le Seigneur nous donne la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde. Amen.
Autre réflexion sur le même passage :
Ajouter un commentaire