Année A : samedi après l'Épiphanie (Litan01s.20)
Jn 3, 22-30 ; 1 Jn 5, 14-21 : le don de l’écoute
Le texte entendu aujourd’hui, de tous les textes lus ces derniers jours, est celui qui me dérange le plus. Ne rien s’attribuer par soi-même. La lecture précisait : gardez-vous des idoles. Gardez-vous de vous privilégier aux autres. Cela signifie disparaître au profit d’un autre. Il a mis sa propre chair au feu, selon un adage argentin. Tel est ma joie et elle est parfaite, ajoutait Jean à des disciples inquiets de voir que quelqu’un d’autre fascinait les gens plus que lui.
Cette joie parfaite exige une attitude bien précise : regarder au-delà de soi. Considérez les autres supérieurs à vous […] que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts, pensez aussi à ceux des autres (Ph 2, 3-4). Cette joie parfaite rejoint celle de François d’Assise quand il ne fut même pas reconnu par un de ses frères par un soir hivernal. Si nous supportons tout cela avec allégresse, écrit frère Léon, là est la joie parfaite. Avouons-le, la cime est élevée parce que c’est s’offrir en sacrifice (2 Tm 4, 8).
Ce qui est beau dans cette attitude de Jean, c’est son refus de se poser en modèle, d’élargir son réseau, de garder pour lui tout seul ses disciples. Il ne s’est pas senti trahi. Il s’est même réjoui que ses disciples soient à l’écoute d’un plus grand que lui, que leur regard soit tourné vers un autre que lui. Jean était un veilleur de l’aurore, en pèlerinage vers quelqu’un d’autre. Quel message il y a pour nous aujourd’hui!
La première façon d’annoncer quelqu’un commence par notre disponibilité à se laisser bousculer, à refuser de s’auto préserver. Jean a refusé d’auto préserver son baptême. L’autoréférentialité, le carriérisme, dirait le pape François, finit toujours par se rendre plus important que l’autre. En se perdant de vue, il a promu un autre baptême que le sien. Un autre chemin.
Jean a rejeté sa recette baptismale, délaissé son chemin, ses idées. Il n’a pas manqué de perspicacité en percevant en Jésus ce qu’il avait entrevu durant son long séjour au désert, à l’écart. Il n’a aucunement cherché à retenir ses disciples. Son détachement les a déculpabilisés de suivre Jésus. Trop d’évangélisateurs aujourd’hui préfèrent des voies édictées par des intérêts égoïstes qui provoquent des conflits (Angélus, 1/11-19).
S’émerveiller d’un autre est le premier pas pour annoncer Jésus, le premier pas à franchir pour tout disciple missionnaire. Que de fois, plutôt que de donner la primauté à l’émerveillement, nous préférons faire valoir nos idées. Nous nous enfermons alors dans une dynamique de compétition qui nous rend imperméables à l’écoute. Commençons cette nouvelle année en souhaitant raviver (cf. 2 Tm 1, 6) en nous le don de l’écoute pour voir. De l’émerveillement pour des surprises de Dieu à notre endroit.
Il est plus facile de parler, de proposer plutôt que d’écouter, de se laisser interroger et illuminer par ce que vivent les autres. Le refus d’écouter conduit à nous fermer aux autres. Que d’évangélisateurs préfèrent discourir, moraliser, dicter plutôt qu’offrir une oreille qui écoute, que d’accepter l’autre comme il est sans vouloir toujours le changer. L’évangélisateur doit apprendre à ««marcher avec» comme Jésus l’a fait sur la route d’Emmaüs.
L’un des enjeux de cet anniversaire est d’ouvrir une réflexion sur notre manière d’être parole de Dieu. À la question à quoi sert un chrétien, l’auteur Jean-Guilhem Xerri répond que le chrétien n’a pas a chercher à être quelqu’un de parfait, qui fait «tout bien» (p.211). Il est un humain qui parle le langage de Dieu avec maladresse. Jésus a parlé la langue de son peuple, un langage appuyé sur des images qu’il comprenait. Le saint pape Paul VI avait bien compris cela quand il répondait dans une interview à Jean Guitton: à quoi sert-il de dire ce qui est vrai, si les hommes de notre temps ne nous comprennent pas?
À nous de repenser notre langage; et nous serons des paroles de Dieu que les gens comprendront. AMEN.
Autre réflexion sur le même passage :
Ajouter un commentaire