Année C : samedi de la 6e semaine de Pâques (litcp06s.19)
Jn 16, 23b-28 : je suis rendu là
Jésus n’a pas fermé le dossier de sa vie. Il ne voulait pas mourir dans le cœur de ses disciples. Quelque chose de plus fort que la mort l’animait, ce quelque chose, Christiane Singer, confrontée à une terrible maladie, l’appelle congédier en nous le vieillard amer […] pour renaître[1]. Jésus nous laisse une œuvre à parachever. Nous sommes faits pour vivre. Nous sommes tous des créateurs, des artistes d’une œuvre nommée vie, toujours à créer. L’ascension est la fête de la vie. La fête du renoncement à mariner ce qui est amer dans la vie,[2]écrivait un homme en soin palliatif.
Au terme de son chemin terrestre, Jésus, comme chacun de nous confrontés à la mort, dit : je suis rendu là. Mais comme nous aussi, il ajoute : je suis encore là. Et c’est cela la bonne nouvelle ; Jésus défie tous les pronostics de la vie. Il prend conscience qu’il n’est pas «tuable». Je suis encore là. Toute vie, celle de Jésus inclus, est un mouvement. Son désir de vivre le «pousse dans le dos». Lui qui a bien vécu sa vie, ne s’interroge pas s’il y a une vie après la mort, s’il y a une suite à sa manière de vivre après son départ; il affirme le plus sérieusement du monde : je pars sans partir. Je vous quitte sans vous quitter. Je suis toujours avec vous. Ce sont des paroles fortes.
’auteur William Shakespeare écrivait que celui qui ne dira plus rien est plus écouté […]; qu’on fait plus attention aux dernières heures d’un homme qu’à toute sa vie passée […]; ce qu’il dit se grave plus dans la mémoire que des choses dès longtemps révolues. Et Jésus grave dans la mémoire de ses disciples de ne pas regarder le ciel, mais d’aller semer la Vie en les assurant de l’appui de son Esprit.
Jésus a cette conscience forte qu’il y a plus fort qu’un départ. L’intensité d’une relation demeure; ce que nous avons tissé, ce que nous avons semé de beau et de bon, tout cela ne disparaitra jamais.
Avant de retourner chez lui, Jésus prononce des paroles de grand sens : je suis sorti du Père, je suis venu dans le monde, maintenant je quitte le monde et je pars vers le Père. Ce ne sont pas des paroles de résignations. Ce sont des paroles contacts avec ce qu’il est vraiment. Des paroles-attestations de son identité. Ces paroles réveillent en nous quelque chose comme une force inédite qui nous permet d’empoigner la vie, la nôtre, pour la tenir en mouvement permanent et éternel.
En présence de ses disciples qui n’ont pas compris grand-chose, perdus qu’ils étaient dans l’attente d’un messie politico-religieux, Jésus, dans un langage indélébile, trace la beauté des derniers moments de toute vie. Loin de favoriser la fascination sur sa manière de vivre, Jésus fait surgir une mission : ne pointez pas votre nez au ciel, ne pleurez pas mon départ, ne me regardez plus, allez baptiser toute personne dans la vie, dans l’Esprit-Saint (cf. Ac 1, 11). Allez glorifier la vie. Demeurez en vie. Soyez des vivants et vous serez mes témoins.
Quelle mission d’être créateurs de vie, de glorifier la vie et celle de ne pas pleurnicher une absence! L’épître aux Hébreux parle en images : à travers le voile, c’est-à-dire dans sa chair, Jésus a inauguré une voie nouvelle et vivante (He 10, 20). Jésus a débloqué la vie. L’impasse de l’existence humaine a sauté. L’esclavage de la mort est aboli. La peur est détrônée par la confiance. Le non-sens cède à l’espérance. L’ascension est une voie ouverte vers la vie. Une voie nouvelle et vivante.
Nous sommes envoyés non pour faire éclater la vie, mais pour être pleins de vie. C’est une toute autre orientation : faire éclater la vie en étant vivant. Cela doit faire école. Jésus trace une voie nouvelle et vivante. Bien vivre plutôt que bien faire. Ne pas dire j’étais, je faisais. Ces mots projettent de la nostalgie sur la vie. Mais dire Christus vivit. Le Christ vit. C’est l’art de se donner du souffle et cela conduit à une grande paix intérieure.
Jésus nous dit : je suis rendu là. Je suis encore là. Amen.
[1] Singer, Christiane, Derniers fragments d’un long voyage, Éd. Alban Michel, 2007, p.59
[2] Naceau, Gilles, A l’école de la fragilité, MediaPaul, 2019, p. 77
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