Année C : samedi de la 3e semaine de l’Avent (litca03s.18)
Lc 1, 46-56 : une convocation à vivre à l’envers
Que peut-on chanter de plus grand que le Magnificat ? Que peut-on annoncer de plus beau que de glorifier le Seigneur par sa langue, par sa vie, par son cœur ? Ce chant ouvre des perspectives inimaginables sur comment bien vivre sa vie. Il profile un chemin pour donner à sa vie un tournant évangélique. Un tournant social aussi.
Un chant qui change toute une vie. Il fait sauter les verrous des honneurs, des premières places ou de tout ce qui flatte et accroît l’ego. Il met en marche vers un avenir meilleur, annonce que l’humanité doit changer de direction. C’est le cantique d’espérance de tous les bâtisseurs d’une terre vraiment humaine.
Le magnificat dénonce un ordre social établi que Jésus confirme en reprenant le texte d’Isaïe dans la synagogue de Nazareth : il renverse les puissants de leur trône, élève les humbles, comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides et m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer la délivrance aux captifs, rendre la vue aux aveugles et la liberté aux opprimés.
Marie exprime et chante ce que doit être le quotidien de tout chrétien. Ne pas se mettre au centre, faire place à Dieu rencontré dans la prière et le service. Elle précise que toute grandeur n’est pas de se rendre grand, mais de rendre grand «le petit Jésus». Les grands font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : celui qui voudra devenir grand se fera serviteur, celui qui voudra être le premier se fera l’esclave de tous (Mc 10, 42-43). Chacun peut se positionner contre les honneurs, ça paraît bien, mais s’en réjouissent lorsqu’ils en sont comblés.
Ne nous contentons pas de le chanter. Il engage ceux qui le chantent à le porter au monde pour qu’éclate Noël. Il contient le tonus du développement intégral de la personne dont parlait le pape Benoît et évite de nous faire tomber dans l’idolâtrie du moi. Mais par où commencer pour vivre ces grandes choses dont chante Marie ? Par l’abaissement comme manière d’être, par le service comme manière de vivre. La réponse de Marie à l’ange ne parle pas de joie, de privilège, mais de disponibilité à servir Dieu. Je suis la servante du Seigneur (Lc 1, 38).
Cette grande chose, la grandeur de l’abaissement qu’est l’humilité ouvre la porte à une grandeur encore plus grande, celle de l’abaissement d’un Dieu. Il s’est anéanti lui-même, prenant la forme de serviteur, et se rendant semblable aux hommes.
L’étonnement suprême : ce grand bouleversement social repose sur une femme qui ne se tient pas aux premières loges de l’humanité. Il repose sur un enfant sans pouvoir, sans gloriole, né dans une étable. Message : c’est dans nos incapacités, nos dénuements que se trouve la solution de tout changement.
Ce chant nous apprend que l’humain n’a pas pour premier rôle d’humilier, de maltraiter, de discréditer ou de se moquer des autres pour se sentir utile ou important ; que nous n’avons pas à recourir à la violence physique ou psychologique pour se sentir en sécurité ou protégé. Le plus riche agir humain, c’est de magnifier, de relever l’autre par la tendresse, d’honorer avec la force de la miséricorde, tous ceux qui sont tombés. Manière subtile pour exprimer que l’intimidation et la manipulation n’ouvrent pas sur des relations pacifiques entre nous.
À quelques jours de Noël, le Magnificat nous invite à revisiter notre héritage. Quel évangile voulons-nous ? Quelle Église voulons-nous ? Une Église qui s'ouvre aux délaissés ou qui se replie sur un pouvoir hérité d’une autre époque ? Ce chant fait émerger une nouvelle identité ecclésiale, chrétienne, celle d’être avec les délaissés plutôt que pour les délaissés. François d’Assise a chanté par sa vie ce Magnificat.
Marie voit avec les yeux de la foi à quoi ressemble le projet de Dieu, l’œuvre de Dieu dans l’histoire. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière. Ce chant n’a rien perdu de son actualité. Ne nous laissons pas volés l’espérance qu’il suscite en nous. AMEN.
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