Année B: Samedi de la 3e semaine de Pâques (litbp03s.18)
Jn 6, 60-69 : le pain comme «base de données» pour connaître Jésus
Je commence cette réflexion par ces mots d’Angèle de Foligno : l’homme, à force de voir l’ineffable, arrive à la stupeur, et si un prédicateur, au moment de parler, entrait dans cet état, il dirait à la foule : Allez-vous-en, car je suis incapable de parler de Dieu, je suis insuffisant. Qu’ajouter de plus qui ne soit pas insignifiant sur la finale de Jean !
Si Jésus avait possédé quelque chose de plus précieux que ce pain, il nous l’aurait donné (Isaac le Syrien). Le défi actuel est de se donner une vraie nourriture. Elle ne se trouve pas dans le «fast food», dans les «.com», dans l’intelligence artificielle ou l’«on-line», mais dans la lectio divina, disait le philosophe Fabrice Hadjadj dans sa conférence d’ouverture du carême à Notre-Dame de Paris, consacrée au thème culture et évangélisation.
Le défi est de nous rendre capables de nous débrancher de ce monde des «.com», des réponses rapido-rapides dont le mot lui-même exprime qu’il n’a pas de racine, aucune profondeur. Avoir à la portée d’un «clic» l’abondance de nourriture n’est pas synonyme d’une nourriture de qualité. Se trompe de chemin celui qui croit trouver dans ce monde de l’instantané, sa vraie nourriture. Il faut plusieurs dégustations pour apprécier la qualité d’un vin. Ce pain n’est pas, je paraphrase le philosophe Hadjadj, une base de données dans mon superordinateur.
Il faut goûter cette réflexion d’Augustin tirée de ses confessions : Et ce ne sera pas toi qui me transformeras en toi, comme la nourriture de ta chair, mais tu seras transformé en moi (Confessions vii, 10, 16). Manger cette nourriture nous rend semblable à Jésus, nous transforme un peu plus en lui. Ce pain est le chemin pour devenir Dieu autant que Jésus est devenu homme. Il nous transforme en eucharistie vivante. Nous devenons le corps du Christ parce que ce pain nous ouvre aux autres et nous arrache à nos repliements sur soi. Origène écrit qu’il arrive souvent que la Bible nomme des nourritures charnelles (le pain) pour désigner des aliments spirituels […] et je suis allé de moi-même auprès des Écritures et j’ai trouvé leur miel.
S’il est bon d’écouter cette parole, cette dure parole, cette parole choquante, je suis le pain de vie, il est bien meilleur de la goûter. Ma question : que goûte ce pain ? Il n’a pas le même goût pour tous. De quoi avons-nous faim ? Quel miel recherchons-nous ? Jésus ne nous donne pas du pain à manger. Il est ce pain. Il ne se donne pas à nous, il se donne en nous.
Elle est dure cette parole. Pour l’entendre, il faut sortir de l’instantané, du pur rituel qui encadre cette eucharistie. Il faut la laisser germer en nous. Alors que le bruit et le «fun» nous laissent de moins en moins de répit, le plus grand service à nous rendre n’est-il pas celui de nous offrir une longue plage de silence. Venez à l’écart. Chacun, nous dit Jacques dans sa lettre, est tenté par sa propre convoitise qui le séduit (Jc 1, 15).
Et voilà bien un autre défi : le défi de la germination jusqu’à devenir le corps du Christ. Le résultat n’est pas automatique. Sa germination est lente. Ça prend du temps pour nous ouvrir à l’intelligence de la foi (oraison, lundi 1ère sem. carême). Apprendre à nous nourrir de l’ineffable de ce pain pour en tirer une grande joie exige de sortir de la routine de nos rendez-vous quotidiens. Celui ou celle qui prétend le goûter à sa juste valeur sera toujours incroyable.
Au terme de son chapitre six, Jean appelle à un dépouillement de nos mentalités de technocrates de la rapidité, de toutes ces fausses nourritures qu’un simple «clic» nous fait avaler plutôt que digérer, pour trouver en nous la vraie nourriture. Cessons d’augmenter nos connaissances livresques sur ce pain. Privilégions celle de ne jamais nous lasser de le goûter, de laisser Dieu nous nourrir. Pour citer le pape François au Bangladesh, Dieu a mis en nous un logiciel qui nous aide à goûter ce pain.
Que Marie soit notre guide et nous aide à goûter les paroles de son Fils. AMEN.
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