Année B : samedi du temps de Noël (litbn01s.18)
Mc 1, 7-11 : prendre soin de nos yeux
Jésus peut bien se cacher sous les traits humains, sous ceux de l’enfant de la crèche; il peut bien se présenter sans escorte, comme un quémandeur du baptême parmi tant d’autres, soumis au péché comme tout humain; il peut n’être que le fils du charpentier, n’être qu’un visage parmi tant d’autres au milieu de la foule de chercheurs de sens, avoir passé incognito la plus grande partie de sa vie dans un village jusque là sans histoire, il ne peut se cacher de Jean qui l’a reconnu avant même sa naissance quand sa mère Élisabeth salua Marie, la visiteuse. Il ne peut se cacher de toute personne assoiffée d’autre chose que d’elle-même, en recherche d’une Source jaillissante en vie pleine.
Tout l’évangile de Marc, toute sa bonne nouvelle se résume dans cette scène inaugurale où Jean le Baptiste a reconnu au milieu de son activité quotidienne, non dans le temple, mais sur le bord du Jourdain, l’arrivée de celui qu’il cherchait. Sa joie fut de bien voir. Il avait des yeux qui voient qu’au milieu de la foule, se trouvait cette personne tant attendue. Il ne s’est pas arrêté à l’humain qu’il voyait. Il en a percé le mystère qui s’y cachait. Jésus s’est présenté à Jean habillé de son humanité, il a été reconnu revêtu de sa divinité. Que c’est beau !
Jean-Baptiste est assoiffé d’autre chose que de son baptême de conversion; voilà la beauté inaugurale de l’évangile de Marc. Il a soif d’un cœur-à cœur, d’un tête-à-tête avec la source de vie qu’il annonce par son baptême et qu’il intuitionne se réaliser en Jésus. Et la suite de son évangile fera découvrir que toute personne assoiffée d’autre chose que d’elle-même, en recherche d’autre chose que la mécanique du quotidien, est capable de reconnaître Jésus à une seule condition, celle de sortir de son tombeau intérieur.
Sans l’exprimer avec clarté, c'est en arrière-plan de son évangile, Marc avance qu’il faut bien regarder si l’on veut être sur le chemin du bonheur. Il faut bien regarder chaque scène qu’il décrit parce qu’elle annonce le commencement d’une bonne nouvelle. Le commencement d’un radicalisme qui nous interpelle toujours. C'est le commencement d’un beau retournement que l’évangile appelle conversion à une personne. Chaque scène conduit à autre chose que ce que l’on voit. Sans ce dépassement de nos regards vers cette autre chose, sans cette capacité de percer le visible, de voir les cieux se déchirer, l’évangile risque de demeurer incompréhensible au lecteur de toutes les époques.
Ce qu’a vécu Jean, regarder et reconnaître en Jésus l’homme est aussi notre histoire individuelle et collective. Marc clame, aux premières lignes de sa bonne nouvelle, que bien regarder Jésus nous sauve de nous-mêmes, non dans le sens de nous fuir, mais dans le sens de faire connaissance avec le vrai soi-même. Clément d’Alexandrie a une perception très juste de l’humain quand il écrit que la plus grande de toutes les connaissances, est la connaissance de soi, car celui qui se connaît lui-même, connaîtra Dieu […] et cette connaissance le rendra semblable à Dieu[1].
Aux foules qui lui demandaient: que nous faut-il donc faire? Jean répondait: et c’est le centre de tout son évangile, si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même (Lc 3,11). Aux collecteurs d'impôts, il disait: n'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé; et aux militaires: ne faites ni violence ni tort à personne.
À votre contemplation : prendre soin de nos yeux pour voir se déchirer les cieux et l’Esprit de Dieu descendre sur nous. Prendre soin de nos oreilles pour entendre la voix du Père nous reconnaître comme ses fils bien-aimés. Prendre soin de nos mains en touchant le Verbe de vie en chaque humain. Ce baptême-là est toujours devant nous. AMEN.
[1] Cité par Lytta Basset dans La Source que je cherche, Éd. Albin Michel, 2017, p.16
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