Année A : mercredi de la 24e semaine ordinaire (litao24me.17)
Luc 7, 31-35 : jouer de la flûte comme chemin d’évasion.
Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons entonné des chants de deuil, et vous n’avez pas pleuré (Lc 7,32). En s’adressant ainsi aux pharisiens et aux docteurs de la loi, Jésus leur dit qu’ils passent leur temps à des choses futiles. Dans un langage imagé, Jésus exprime une vérité qui risque de les choquer : vous êtes déconnectés de la vie. Déconnectés d’une religion pour tous, incluant les moins respectueux de la loi.
Jésus observe que les chefs religieux n’ont pas les deux pieds sur terre avec leurs exigences démesurées, leurs reproches ininterrompus, leurs incapacités de compassion. Vous avez des yeux, mais vous ne voyez rien (Mc 4, 12; Mt 13, 13), leur dit Jésus dans ce passage un peu mystérieux si on ne le relie pas au passage précédent où il est question de Jean-Baptiste.
Dans les versets précédents, Luc mentionne que Jean-Baptiste dans sa prison se questionne sur Jésus. Il envoie des messagers lui demander s’il est celui qui doit venir (Mt 11, 3). Et Jésus invite les envoyés de Jean-Baptiste à lui montrer ce qui se passe. Allez dire à Jean ce que vous voyez, les aveugles voient, les boiteux marchant, les sourds entendent (Lc 7, 22). Ce fut suffisant à Jean-Baptiste pour croire en Jésus.
Pour les chefs religieux, ces signes ne sont pas suffisants parce qu’ils viennent de quelqu’un qui n’est que le fils d'un charpentier. N’acceptant pas le baptême de conversion de Jean-Baptiste, les chefs religieux manifestent leur total désaccord au commentaire de Jésus le présentant comme le plus grand des enfants des femmes (Lc 7, 28).
La finesse de ce passage repose sur le message presque subliminal que Jésus leur envoie. Ils ne savent pas lire les signes des temps parce qu’ils dansent sur la loi avec leurs interprétations farfelues. Alors qu’ils accusent Jésus de glouton, ce sont eux qui «gloutonnent» la loi pour la rendre indigeste. Ce sont eux qui la rendent non digestible plutôt que d’offrir une loi «digérable», ce qui n’en diminue en rien son importance.
Cet extrait de l'évangile de Luc est un appel pour nous aujourd’hui à ne pas demeurer insensible aux signes de la présence de Jésus, à ne pas demeurer sourd à sa parole, à rester très attentif pour deviner un monde à naître dans les douloureuses situations dont nous sommes témoins. N’agissons pas comme les chefs religieux qui dansaient et jouaient de la flûte pour s’évader dans un rêve d’un monde parfait, d’une loi parfaitement appliquée, mais qui n’existe pas dans la réalité. Ne soyons pas des déconnectés en utilisant des paroles d’une autre époque, incluant notre credo dont les mots ne disent pas grand-chose aujourd’hui.
Face à ce danger d’une loi idole, de mots passe-partout, d’une recherche d’une société de gens parfaits qui ne sera jamais possible à atteindre, mais qui nous sert seulement de lanterne (René Car, cité par Jacques Musset ), le défi chrétien est de démontrer que notre attachement à Jésus dépasse la doctrine, la loi diraient les chefs religieux espionnant Jésus. Notre fidélité à reconnaître autour de nous les joueurs de flûte est le chemin du chrétien qui désire agir comme Jésus. Les joueurs de flûte que Jésus démasque restent sans cesse à démasquer. Ce chantier-là est très exigeant, mais passionnant aussi.
Observons que jouer de la flûte cache un grand désenchantement, une grande soif de sens. Il ne suffit pas de croire à une doctrine, d’observer une loi pour que tout soit en règle; la priorité de Jésus et la nôtre, ce matin, est de rejoindre dans les danseurs de flûte, qui pullulent autour, cette immense soif, que Jésus, le vrai et non celui qui est peu connu, peut combler.
À votre contemplation : on dit Jésus glouton justement parce qu’il n’a pas encore épuisé sa capacité de détruire ou d’annihiler tous ces joueurs de flûte, ces vendeurs de tant d’illusion qui n’apaisent pas notre soif d’une vie vécue en profondeur. Amen.
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