Homélie pour les funérailles de Camille
Jn 14,1-10
Ces derniers jours, nous avons vu des visages en détresse. Ils venaient de tout perdre. De perdre leur maison dans les inondations. Cette détresse, celle de vivre sans domicile, les médias nous l’ont montrée dans cette foule de réfugiés qui ont tout perdu. Cette détresse, elle se retrouve sur les visages des sans-abris que nous ne voyons plus tant ils sont partout. Sur les visages d'enfants-soldats envoyés au front, souvent parce qu'ils sont sans famille. Vivre sans maison amène son lot de souffrances. D'insécurité. C'est ne plus avoir de chez soi. Ne plus avoir son intimité. Cela conduit à une grande détresse psychologique.
Cette expérience est aussi au cœur de toute vie spirituelle, vie inséparable, indissociable de toute vie humaine, que nous soyons croyants ou pas. Vivre sans repère spirituel désoriente. Vivre sans enracinement spirituel engendre de grandes agitations intérieures.
La parole de Dieu vient de nous dire, c'est rassurant si nous savons l'entendre par le cœur, que nous avons une maison céleste où quelqu'un nous attend et elle trace le chemin qui mène à cette maison. En Jésus, cette maison s'est rapprochée de la terre. Il a fait sa demeure parmi nous. À comprendre, il a fait de la terre un ciel. En remontant vers sa maison, il emporte sur ses épaules ceux et celles qui ont contribué à vivre entre nous en état d'harmonie.
Que votre cœur ne se trouble pas. Je pars vous préparer une place. Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. Aujourd'hui, pour Camille, se réalise cette parole, je reviendrai te prendre avec moi.
Je me souviens des dernières paroles du pape Jean-Paul II avant de mourir : laissez-moi partir vers la maison du Père. Ce sont ces mêmes paroles que j'entends de Camille. Elle nous dit: laissez-moi partir vers la maison du Père. La qualité de relation qui existe entre les résidents fait la beauté d'une maison. Dans la maison où Jésus retourne, il y a, pour parler avec des mots d'aujourd'hui, une attirance mutuelle, beaucoup de connivence, de respect mutuel, d'unité.
Camille a entendu les paroles du Jésus de sa foi lui dire : moi je suis le chemin. Je suis la Vie. Elle a pris ce chemin dans son quotidien. Celle qui nous rassemble, aujourd'hui, a tellement apprécié la manière de vivre dans cette maison que nous a montrée Jésus qu'elle a tout fait pour faire rayonner cet esprit de bonne entente, de proximité, de relation recherchée, dans sa propre maison, dans sa propre famille. Le Dieu de sa foi n'était pas un Dieu réduit à un système de pensée, à une philosophie ou idéologie. Elle refusait de se contenter d'un Dieu pensé, car lorsque la pensée disparaît, Dieu disparaît aussi (Maître Eckhart). Pour Camille, Dieu, et nous ne comprendrons jamais la profondeur de ce mot, n'est que relation, que bonne entente.
Ce mode de vie de relation qu'elle a contemplé dans ses moments de prière, Camille l'a recherché, l'a désiré, l'a vécu. Elle fut celle qui rapprochait, qui unissait les siens, qui éprouvait une joie imprenable quand elle était en relation physique avec les siens; en effet, elle était toujours en relation de pensée avec les siens. Elle ne pensait qu'à Pierre. Elle ne pensait qu'à vous, ses enfants. Elle était cette pierre angulaire sur qui a reposé toute sa famille. Elle fut une pierre angulaire, mais aussi un rocher, un roc, dit l'évangile, quand surgissaient les tempêtes.
J'utilise les mots trouvés dans le journal spirituel de Jeanne Schmitz-Rouly, mère de famille et grande priante, pour faire dire à Camille: c'est quand je n'existe plus que j'existe; ce sont des paroles que Camille aurait signées. Nous sommes devant une vie qui n'a pas existé pour elle-même. Son moi, si précieux pour nous aujourd'hui, n'était pas, n'était que rarement le sien. Pour elle, il n'y avait pas moyen de vivre en harmonie, en bonne relation avec tout le monde sans le renoncement à elle-même.
Les images qui montent en nos mémoires finissent toutes par confirmer cela. Je paraphrase saint Paul et je dis que Camille ne vivait pas pour elle, mais c'était sa famille qui vivait en elle. Cette manière de vivre, pour utiliser une expression très actuelle, est un copié-collé de Jésus qui n'existait que pour nous montrer le Père.
Prononcer le nom Camille, c'est entrer dans une mystique du don de soi. Qui voit Jésus, voit le Père. Qui voit Camille, voit une femme oublieuse d'elle-même. Sans que cela soit péjoratif, Camille fut une femme à genoux, en état permanent du service par en bas. Elle a pris au sérieux ce testament de Jésus qui, au soir de sa vie, nous a laissé le geste du lavement de pieds, ce sacrement du frère. Ce sacrement du service des autres.
Un poète, Jean Grosjean, a écrit, et la vie de Camille confirme cela : quand tout val ma dans la vie, il reste le ciel ; quand tout val mal, au point où les rêves nous laissent, il reste le ciel. Quand tout va mal, au point que la mort pourrait se faire belle, il reste le ciel. Le ciel, c'est une manière de vivre, même quand le ciel nous tombe sur la tête, pour citer un diction.
Emmanuel Levinas, l'un des grands penseurs de l'humain comme être de relation, pousse très loin notre rapport à l'autre quand il écrit (Les imprévus de l’histoire, Éditions Fata Morgana, 1994, pp.181-183) que nos rapports interhumains, indépendants de toute communion religieuse, au sens étroit du terme, constituent en quelque sorte l’acte liturgique suprême, autonome par rapport à toutes les manifestations de la piété rituelle. Le premier acte religieux, le premier mode de toute pratique religieuse, de toute manifestation de foi, consiste à pratiquer un haut degré de relation mutuelle. C'est très fort. La vie de Camille fut un acte liturgique permanent.
Avec vous, je rends grâce à Dieu pour la vie de cette femme. Un jour du temps, Dieu a mis Camille sur notre route. Maintenant, il reprend son souffle; que son nom soit béni.
En guise de conclusion, je formule une demande à Camille.
Toi qui a vécu une grande intensité de communion avec Marie, toi qui l'a beaucoup prié,
Pierre, ton époux de plus de soixante et dix ans de vie commune,
tes enfants qui étaient le centre ton existence te demandent,
tes amis te demandent,
ton Église te demande
et moi aussi je te demande : montre-nous Jésus comme Marie nous l'a montré, fais-nous voir ce Père que Jésus nous a montré et qui maintenant t'accueille à la table de son eucharistie sans fin. AMEN.
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