Année C: mardi saint
Jn 13, 21-23-36-38 : qui a trahi Jésus ?
Ami (Mt 26, 50). Ces mots que rapporte Matthieu expriment toute la compassion que Jésus a manifestée à Judas. Jésus, le plus persécuté et le plus maltraité d’entre tous les humains, n’a jamais appelé aucune créature mortelle du nom d’ennemi. Il appelle Judas son ami, au moment même qu’il trame contre lui la plus perfide et exécrable trahison qui fût jamais. Si seulement Judas avait regardé Jésus dans les yeux comme Pierre l'a fait, il serait devenu dans l'histoire, écrit Térésa de Calcutta, l'ami de la miséricorde de Dieu.
Pourquoi Judas a-t-il trahi Jésus ? Certains observent qu'il a été déçu de ne pas voir en Jésus un libérateur politico-religieux. D'autres laissent entendre que son amour de l'argent était plus fort que celui qu'il manifestait à Jésus. Jean ne nous donne aucune interprétation psychologique de l'action de Judas. L'évangéliste nous dit simplement que le démon a inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l'intention de le livrer (Jn 13, 2). Après la bouchée, alors Satan entra en lui (13, 27). Luc abonde dans le même sens : Satan entra en Judas, appelé Iscariote, qui était au nombre des douze (Lc 22, 3).
Ce qui est arrivé à Judas, écrit le pape Benoit dans Jésus de Nazareth, n'est pas psychologiquement explicable. [...] Il est tombé sous le pouvoir de quelqu’un d’autre [...]; il devient l’esclave d’autres puissances; le fait de trahir cette amitié découle alors de l’intervention d’un autre pouvoir auquel on s’est ouvert.
Cet autre pouvoir, c'est celui de Satan que Gilbert de Hoyland appelle le parfumeur et qui entra en Judas dont le geste dégage chez le lecteur de tous les temps une odeur repoussante. Ce passage de Jean aux allures d'une tragédie grecque nous ébranle tant le moment choisi par Judas est l'heure de la naissance de l'Église.
Nous voyons la trahison de Judas. Nous assistons à sa sortie dans la nuit (Jn 13, 30). Judas quitte la lumière pour entrer dans l'obscurité. Mais quel sort est réservé à Judas pour son geste ? Il est impossible de tirer une conclusion si nous portons attention à la remarque de Matthieu qui démontre que Jésus n'est pas complètement mort en lui. J'ai péché, dit-il à ses commanditaires. Dans un geste exprimant sa douleur, il rend l'argent (Cf Mt 27, 3s). J'ai péché en livrant un sang innocent (Mt 27, 4). Même dans sa trahison, Judas n'oubliait pas tout ce qu'il a reçu de beau, de grand de Jésus.
Judas a préféré l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu (saint Augustin) en ne pensant qu'à lui-même et en s'émancipant de la bonté de Jésus qui venait de lui donner son corps à manger; on peut comprendre que Jésus fut troublé au plus profond de lui-même (Jn 13, 21).
Troublé, mais non au point de priver Judas de son regard de compassion. Pour Jésus, les paroles faites ceci en mémoire de moi ne se réduisent pas à l'eucharistie. Ces mots demandent de poser le même regard de compassion sur les traites de l'Évangile. Aujourd'hui, Jésus peut trouver des imitateurs de son geste, mais jamais ils n'atteindront la profondeur de son regard de miséricorde. Pouvons-nous honnêtement appeler amis ceux qui font mal à l'Église ? Pouvons-nous porter sur eux un regard de miséricorde ?
À la lecture de ce texte où Pierre autant que Judas ont trahi Jésus, une question surgit en moi. Par qui Jésus a-t-il été trahi ? Les évangiles répondent par Judas. Mais les apôtres se sentent tous capables de trahir Jésus, puisque chacun se demande si c’est lui, y compris le disciple que Jésus aimait. Judas est-il donc vraiment pire que Pierre ? Pire que les autres disciples ? L'acte de trahison de Pierre est-il mieux que celui de Judas ? Comment pouvons-nous entrevoir qu'il existe un Dieu capable de pardonner à l'un sa trahison et de la refuser à un autre ?
Cette semaine sainte nous place devant une énigme, celle que posait Maurice Zundel dans sa retraite à la curie romaine quelques mois avant sa mort : de quel Dieu parlons-nous et à quel homme parlons-nous? AMEN.
Ajouter un commentaire