Année B : Mardi 32e semaine ordinaire (litbo32m.15)
Luc 17, 7-10 : Qui sommes-nous? Vraiment inutiles, dites-vous?
Qui êtes-vous ? Nous avons une peur maladive de n’être pas quelqu’un aux yeux des autres. Pour plusieurs, à un certain âge, apparaît une grande inquiétude, celle de tomber dans l’oubli. De se sentir de trop. Inutile. Quelque part, dans le tréfonds de toute personne, existe un sentiment incontrôlable de craindre de passer inaperçu dans la vie. De ne pas ou ne plus exister pour ses proches. Cela engendre quelquefois beaucoup d’angoisse. Ma fille ne m’appelle plus. Mon fils ne me téléphone pas souvent.
Pour certaines personnes, que d’heures sont passées à attendre un téléphone qui va redonner un peu de vie à un quotidien fait d’attente d’être reconnu. Il est souvent difficile de sortir de cette nostalgie, regrettant cette époque où tout le monde semblait avoir besoin de nous. Paradoxe, nous vivons dans un monde de communication alors que nous éprouvons fortement que nos proches sont loin. Se tiennent loin. Aujourd’hui, le sentiment d’exclusion habite beaucoup les cœurs.
Qui êtes-vous ? Notre identité repose sur l’importance que les autres nous accordent. Aujourd’hui, le désir de reconnaissance, d’être quelqu’un, est très fort. Nous refusons d’être des «no body» quelconques perdus dans une mer d’anonymat. Voilà pourquoi nous faisons des efforts pour affirmer que nous existons. Pour nous faire voir.
Cette angoisse, ce désir de reconnaissance, est l’opposé de notre évangile de ce matin. Notre grandeur, notre importance ne vient pas de ce que nos mains soient étampées dans le béton du boulevard des étoiles d’Hollywood. Notre importance naît de savoir nos noms inscrits au nombre des stars éternelles. Le P. Mombourquette appellerait cela de passer de l’estime de soi (se faire voir) à l’estime du Soi (se sentir inutile).
Aux yeux de Dieu, nous ne sommes pas des serviteurs quelconques. C’est une très mauvaise traduction. Le mot quelconque en français comporte l’idée d’une condescendance, voire de mépris, comme si Dieu nous regarde de haut et avec suffisance. Dans Isaïe (43, 4), Dieu nous dit exactement le contraire : Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et moi, je t'aime.
Aux yeux de Dieu, nous sommes des serviteurs inutiles. Inutiles parce tout vient de Dieu. Parce que tout nous est donné gratuitement. Nous n’avons pas à mériter Dieu. Il est tout à tous sans égards à nos fautes. Inutiles, et c’est là le paradoxe, pourtant indispensables pour que le Règne de Dieu advienne sur la terre. Saint Ignace de Loyola affirme : il faut tout faire comme si tout dépend de nous, et cependant tout remettre entre les mains de Dieu.
Ce qui est en notre pouvoir ce n’est pas mériter Dieu mais bien de raviver le don la foi. Le don de notre accueil de Dieu. Seigneur, augmente ma foi. La foi nous pousse à vivre des choses qui n’ont pas d’allure comme celle de tout recevoir, ce qui est beaucoup plus difficile que de donner (cf. Ac 20, 35). Comme celle de nous arrêter et de nous souvenir que nous ne sommes pas les maîtres du monde. À vivre au milieu d’un monde où la toute-puissance règne en maître, nous oublions qui nous sommes. Sans nous en rendre compte, nous perdons le sens de notre vraie dimension.
Notre foi, quelle assurance et bienfaisance d’entendre cela dans notre texte d’aujourd’hui, nous fait entrer dans ce grand mystère de qui nous sommes, des inutiles qui sont riches du regard que Dieu pose sur nous.
Chrétiens, ne perdons pas cette intuition que tout est grâce. AMEN.
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