Année B: Dimanche 19e semaine ordinaire (litbo19d.15)
Jean 6, 41-51 : devenir ce que nous entendons; je suis le pain de vie.
Vous connaissez l'expression « il est bouché des deux oreilles »? On a beau expliquer, multiplier les exemples, rien à faire. Il ne comprend rien. Il ne veut rien comprendre. Devant cette page, avons-nous les oreilles bouchées? Le cœur bloqué ? Pour comprendre, il faut écouter. Pour écouter, il faut avoir des oreilles pour entendre. Qu’elle résonne à mes oreilles ta voix (Ct 2, 14). Vous avez des oreilles et vous n'entendez rien (Is 42, 20 ; Mc 8, 18).
Pour écouter, il faut aussi que notre être intérieur se taise. Il faut être, c'est paradoxal, sourd à tous ces bruis-sements intérieurs. Élisabeth de la Trinité dans sa dernière retraite, écrivait qu'une âme qui discute avec son moi...n'est pas ordonnée à Dieu, sa lyre n'est pas accordée à la Parole de Dieu. Des oreilles pour écouter quoi ?
Ce matin, Jésus a besoin de nos oreilles débouchées pour nous faire entendre et comprendre qu'il est ce Dieu-Emmanuel qui vient vers nous, qu'il est Dieu-avec-nous, descendu du ciel. Pour nous faire comprendre qu'il est pain de vie, il a posé des gestes déroutants, décapants, hors de l'ordinaire.
Ce n'est pas parce que nous sommes ici que nous comprenons nécessairement mieux que les autres. Pour bien comprendre ce pain de vie, il faut devenir ce que nous entendons. Une question surgit en moi et qui a été posée dans les années 50 par Baptista Montini (Pie XII) à son ami l’écrivain Jean Guitton : À quoi sert-il de dire ce qui est vrai, si les gens de notre temps ne comprennent pas ? (allusion dimanche dernier)
Si ce pain n'est pas une vraie nourriture, il ne nous transformera pas en créature nouvelle. En pain de vie. S'il n'est pas une vraie nourriture spirituelle, nous pouvons le manger, mais nous chercherons en même temps à nous rassasier de toutes les fringales qui n'apaisent pas nos faims. La Samaritaine, elle, a tellement écouté Jésus lui réchauffant le cœur, qu'elle a bu une eau qui l'a vraiment désaltérée. Elle est devenue créature nouvelle, courant annoncer aux gens de son village qu'elle a rencontré celui qu'on appelle le Messie.
Je pèse mes mots et je dis, et c'est ce qu'il faut entendre et comprendre, qu'il n'est pas suffisant de manger ce pain. Pour comprendre ce qu'est ce pain de vie, il faut devenir ce pain. Il faut devenir eucharistie. Il faut devenir ce que nous recevons. Vous êtes le corps du Christ qu'avez-vous fait de lui, chantait John Littleton. Pour comprendre ce qu'est ce pain de vie, il faut entrer dans un grand silence intérieur. Un silence d'oraison.
Beaucoup parler pour donner l'impression que nous comprenons, voilà le paradoxe de notre culture. Or ce n'est pas en multipliant les paroles que nous comprenons, mais en entrant dans un silence d'intériorité. Quand nous t'aurons atteint, dit saint Augustin, nous cesserons ces paroles qui nous multiplions sans t'atteindre. (Je réalise que je multiplie mes paroles alors qu'il me faudrait me taire pour ensemble entrer dans un grand silence qui nous fait creuser par l'intérieur.)
Ce pain doit se faire voir sur nos visages, dans nos regards, dans nos paroles, dans nos comportements. Ce pain de vie n'est pas pain de vie si nous ne devenons pas ce que nous recevons. Simple à comprendre. Défi à vivre. Si l'eucharistie que nous célébrons ne se poursuit pas dans notre quotidien, nous devenons des chrétiens de façades.
Comme au temps du prophète Élie, l'hostilité est grande envers les chrétiens. Comme lui, nous avons la tentation de nous retirer. Mais Élie entendit une parole : lève-toi et mange, autrement le chemin serait trop long pour toi. Fortifiés par ce pain, ne contristez pas Dieu, cherchez plutôt à l'imiter; sortons de nos vies sécurisées pour être pain de vie.
Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, écrit Michel Serres dans le journal Le Monde. Celui d'une pliure, d'une culture toute tournée sur elle-même et qui a faim de s'ouvrir aux autres, qui a faim d'une nourriture qui ouvre sur les autres. AMEN.
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