Année C : Mardi 32e semaine ordinaire (litco32m.13)
Lc 17, 7-10 : des serviteurs quelconques, dites-vous ?
Dieu, vient de nous dire le Livre de la sagesse, a créé l'homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu'il est lui-même. Les matines de la liturgie orthodoxe du jeudi saint chantent que dans mon royaume, je serai Dieu et vous serez Dieu avec moi. Jésus a tellement attaché et uni l'homme à Dieu, dit saint Irénée, que nous pouvons parler d'indissolubilité. Dit autrement, nous ne sommes vraiment humains qu'en Dieu, comme participants de sa divinité (1 Pi 4, 2). Nous sommes "assumés" dans le Christ par la plénitude de Dieu. Nous sommes de sa race (Col 2, 6-10). Dieu nous a faits et nous sommes à lui (Ps 99, 3).
Nous sommes fruits du travail de Dieu, libérés du péché et devenus esclaves de Dieu. Nous sommes l'œuvre de Dieu, un chef d'œuvre façonné par l'artiste Dieu. Et ce chef d'œuvre est à contempler. Sa beauté est imprenable. Nous ne sommes pas des «utilisés» par Dieu, mais des contemplés.
Comme l'écrit François dans l'une des quatre méditations récemment publiées (Zenit.org 21 octobre), le divin n’est pas loin de l’humain, ou plutôt l’anticipe, le libère et lui donne de la plénitude, illustrant que l’homme a besoin du divin pour se réaliser complètement. Notre grandeur: un jour du temps, Dieu en Jésus est sorti pour unir à Lui notre nature qui s'était prostituée [et la] restituer à son intégrité virginale (Grégoire de Nysse, IVe siècle). Dieu nous voit tellement beaux qu'il se met en tenue de travail, nous fait asseoir à sa table pour nous servir (Cf. Lc 12, 35).
Nous ne sommes pas à ses yeux des serviteurs quelconques. Cette traduction est plutôt déplorable. En français, le mot «quelconque» a une connotation de mépris, comme si Dieu nous regardait de haut, avec suffisance. Nous sommes plutôt serviteurs inutiles. Des serviteurs qui n'apportent rien, n'ajoutent rien à la beauté de Dieu comme les fleurs, l'art, les couchers de soleil n'ajoutent rien à ce que nous sommes.
Serviteurs inutiles, mais serviteurs gratifiés par un regard qui sauve. Nous ne sommes pas «des riens», des quelconques personnes aux yeux de Dieu. Tu comptes beaucoup à mes yeux, dit Dieu par la voix du prophète Isaïe, tu as du prix et moi, je t'aime (43, 4). Avant de te façonner dans le ventre de ta mère, je te connaissais (Jr 1, 15). Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? (1 Cor 2, 4). Dieu nous «fait plaisir», nous «fait cadeau», cadeau qui ne se paie pas, cadeau sans prix, impossible de «payer» en retour, de nous rendre conjoint, le mot est de saint Irénée, de sa divinité. Nous sommes ici à des années lumières de cette idéologie que les bons comptes font les bons amis.
Question : avons-nous assez foi en cette parole créatrice de notre beauté originelle, assez de profondeur profonde (Thérèse d'Avila), sommes-nous assez « tombés amoureux » de ce Dieu, pour partager avec notre entourage à l'heure de la laïcité, que nous, humains, sommes de sa race ? Il est émouvant d'observer que la prière liturgique des deux principales heures de la journée, laudes et vêpres, se terminent par une attitude d'émerveillement que sont le Benedictus et le Magnificat. Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël. Mon âme exalte le Seigneur.
Dans L'homme symbiotique, regard sur le troisième millénaire, l'auteur Joël de Rosnay (Seuil, pp 22-23, 1995, réédité en 2000), écrit : Après l'homo sapiens cherchant par son intelligence à dominer les espèces vivantes, [après] l'homo faber maîtrisant outils et machines ou encore l'homo economicus, consommateur et prédateur, voici venu le temps de l'homo symbiotique vivant en harmonie avec un être plus grand que lui. Et pour nous, chrétiens, ce plus grand est ce regard qui nous ouvre à une existence impérissable dont parle le Livre de la sagesse.
À votre contemplation : paraphrasant le philosophe Étienne Gilson, nous pouvons boire ces paroles du Livre de la sagesse parce que l'on a soif; nous pouvons les boire pour s'enivrer de ce qui est moins louable; nous pouvons aussi les boire comme ce vin qui est tout autre chose, celui que nous offre cette eucharistie. AMEN.
Ajouter un commentaire