Année A : FÊTE DE LA CROIX DU CHRIST
Jn3, 13-17
« Quelle grande chose que de posséder la Croix! Celui qui la possède, possède un trésor » (Saint André de Crète, Homélie X pour l'Exaltation de la Croix). La croix, un trésor? Voilà bien une expression paradoxale. Choquante. Il est heureux qu’il en soit ainsi. Tout ce qui choque attire notre attention. Ce qui attire notre attention ce matin – nous sommes tellement habitués à entendre cela qui nous n’y portons plus attention — c’est que « la vie surgit d’un arbre qui donnait la mort » (préface). Ce qui attire notre regard de priant, c’est que pour vivre autrement, pour vivre pleinement d’une vie nouvelle autre que celle de nous entretuer, il faut regarder un crucifié. « Pour être guéris, regardons le Christ crucifié », disait Augustin.
Pour affirmer que la Croix, signe de souffrance, de torture, signe de mort, est un « trésor d’évangile », qu’elle est « glorieuse », il faut changer comme l’invite la 1re lecture et l’Évangile, notre regard sur elle. Autrefois, nous a dit la 1re lecture, il suffisait dans le désert que le peuple d’Israël puisse tourner leur regard vers le serpent de bronze – symbole de mort – pour éviter la mort. Aujourd’hui, il suffit d’élever notre regard vers la Croix pour vivre. « Par ta Croix, tu nous rends la vie » (ps.) La Croix nous offre une direction de Salut.
Questions : Comment transformer un outil qui donne la mort en un lieu où surgit une source de vie, une direction de Salut ? Comment pouvons-nous appeler « gloire » une croix? Saint Paul, qui affirmait aux Galates ne pas trouver « sa gloire ailleurs que dans la Croix du Christ » (Gal 6,14) vient de nous en donner dans la 2e lecture, ce qui est l’essentiel de notre réponse : Jésus s’est abaissé pour nous élever. « Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms ».
Il ne suffit pas de nous émerveiller devant ces bras étendus qui nous accueillent, qui nous entourent de son amour, devant ce « trophée dressé contre le mal » (Saint-Jean-Chrysostome), devant cet abaissement de Jésus, il s'agit d'entrer dans « ce mystère de Salut » (Jn 3, 17). Rien n'est moins évident!
Il est très significatif d’observer qu’il y a 150 ans, c’est par le signe de croix que Marie s’est présentée à une enfant pauvre, inconnue, Bernadette Soubirous. Ce fut par ce geste que Marie a introduit une illettrée qu’était Bernadette, dans le mystère de Dieu. Ce geste demeure aujourd’hui encore un geste catéchétique, geste synthèse de notre foi, « geste chemin » qui éveille à la foi.
Saints hommes, saintes femmes, ce matin, entrons dans ce « mystère du salut » en apprenant à tracer avec beauté sur nous le signe de la Croix. Il y a dans ce signe toute l’Histoire du monde, celle de la Bible de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse. Il y a dans ce signe toutes les alliances de morts : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » C’est notre cri. Il y a dans ce signe toutes les pâques : « ce soir, tu seras avec moi en Paradis ». Il y a dans ce signe un cri de mort qui devient cri de la Bonne nouvelle. Cri de libération.
Le tracer, c’est un acte de foi : nous proclamons que Jésus a aimé le monde jusqu’au bout pour nous donner la Vie. Nous proclamons l’Évangile. Nous proclamons que nous sommes morts à nous-mêmes. Le tracer, c’est un acte de consécration : un petit sacrement que nous avons à notre portée et qui transforme toutes nos petites croix et aussi les grandes, en chemin de libération. De résurrection. Le tracer, c’est un acte de reconnaissance que « Jésus ne donne jamais sa Croix sans donner son Amour » (Marthe Robin).
À votre contemplation : la Croix n’est pas seulement un beau geste plein de signification, geste qui nous « glorifie », c’est accueillir une Personne qui donne sa vie, et même Trois Personnes. Elle fracasse toutes nos fausses images de Dieu pour faire resplendir son vrai visage : Un Dieu dépossédé de lui-même, qui n’est que don. À notre tour, quand nous faisons ce signe de la Croix, nous nous dépossédons de nous-mêmes et laissons le Christ non seulement ressusciter en nous, mais ressusciter toute l’Histoire, toute l’Humanité et tout l’Univers. Ouvrons tout grand nos yeux du cœur sur cette eucharistie « offrande d’amour » de Jésus pour que « tout homme qui croit en obtienne la vie éternelle » (Ev). Amen.
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