Lundi de la trente-quatrième semaine du Temps ordinaire (Litco34l.10)
Lc 21, 1-4 : piécette de la veuve dans le temple
Dans un monde où le tape-à-l'œil et le paraître ont beaucoup d'importance, l'évangile, au terme de cette année liturgique, nous invite à regarder un autre monde: celui de la solidarité, celui du souci de mettre en commun ce que nous avons et qui ouvre sur des noces éternelles.
Cette veuve, non seulement est une icône de Jésus (comme elle, Jésus a donné plus que son surplus d'énergie, il a donné sa vie), mais par son geste de donner jusqu'à l'essentiel de ce qu'elle avait pour vivre, elle oriente nos regards, comme l'exprimera le thème de l'Avent, sur ce Jour [qui] est proche. La grande mission de Jésus fut de nous montrer le chemin du Ciel. Il est venu et vient ouvrir nos regards sur un autre horizon, nous faire convoiter autre chose que les réalités d'en bas.
Devant nos yeux, la première lecture développera cette dimension : l'héritage sans prix de la gloire à venir, limpide comme du cristal qui jaillissait du trône de Dieu (Ap 22, 1). La solidarité de cette femme chante son désir de posséder une demeure éternelle où la justice de Dieu triomphera en nous sur toutes les injustices commises parce que l'amour est plus fort que la mort (Ct 8, 6).
Mais cette vie éternelle, est-ce que nous la désirons vraiment, se demande Benoît XVI dans son encyclique sur l'espérance (cf. Spe Salvi, 10-12). Déjà au XIe siècle, saint Bernard observait que cette question n'intéressait pas beaucoup de monde. Nous avons du mal à croire en la vie éternelle. Nous la professons dans notre credo, mais bien souvent nous vivons, nous agissons, comme si notre existence se limitait à ce monde. Espérer être comblés de la gloire tous ensemble et pour l'éternité (Prière eucharistique #3), cela semble peu intéressant pour qui investit toutes ses énergies dans la possession d'avoirs et de biens. Le geste de la veuve indique que cette Vie, objet de notre espérance, est dans la dépossession. Au jeune homme qui désirait la vie éternelle, Jésus l'invite à la déposses-sion. Va, vends et tu auras la vie éternelle (Mc 10, 17-30).
Pas intéressant cette vie éternelle parce que nous nous la représentons comme quelque chose qui vient après la mort. Nous oublions alors que nous demandons chaque jour de vivre sur la terre comme au ciel. Thérèse d'Avila fait de cette demande l'un de trois piliers de son chemin de perfection. Saint Jean nous dit que ceux (mes brebis) qui dès maintenant écoutent ma voix, moi je les connais et je leur donne la vie éternelle (Jn 20,28).
Pas intéressant parce que notre culture est une conspiration contre la vie intérieure (Georges Bernanos). Nous avons peine à éveiller en nous le désir de désirer l'Être (Teilhard de Chardin) en quittant la zone de nos attache-ments aux choses d'en bas. Le grand mystique Angelo Silesio (1624-1677) écrit : Ô chrétien, où cours-tu? Le ciel est en toi; pourquoi donc le cherches-tu à une autre porte ? Pour la petite Thérèse, le ciel était plus qu'une aspiration. C'était presque une obsession tant le mot revient plus de 709 fois dans ses écrits. Elle avait hâte de s'asseoir à la table des pécheurs (Ms c.6,44).
Cette courte anecdote nous situe sur le terrain des choses d'en haut, sur celui de la générosité et du dé-raisonnable de Dieu. Quand nous donnons de notre nécessaire, de ce qui nous tient à cœur, nous recevons l'ir-raisonnable générosité de Dieu, que l'évangile nomme le centuple. Pour Dieu, celui qui a tout donné, même s'il a peu donné, a donné plus que quiconque. En retour, il se voit gratifier d'épouse invitée aux noces éternelles.
En conclusion de cette année liturgique, le geste de cette femme ouvre nos yeux sur ce temps favorable, ce temps du salut (2 Co 6, 2). Dans son geste, se cache l'annonce de cette vivante espérance (1 Pi 1, 3), qui passe par la dépossession pour posséder un plus grand bien. Nous avons grand besoin de révolutionnaires de cette espé-rance que nous verrons Dieu tel qu'il est (1 Jn 3, 2). Nous avons besoin de faire entendre une autre voix, celle qui ne craint pas d'affirmer que l'humain sans Dieu est mutilé d'une part essentielle de lui-même, comme l'écrivait en son temps Jean Daniélou (Scandaleuse vérité, Fayard, 1961, p. 113). Nous avons besoin d'entendre et de faire entendre que la vraie vie est ailleurs (Rimbaud) et que nous avons pour finalité - et le geste de la veuve resplendit de cette beauté- l'éternité de Dieu dont nous faisons mémoire dans cette eucharistie. AMEN.
Ajouter un commentaire