Année C : Dimanche de la 18e semaine ORDINAIRE (Litco18d.07)
Lc 12, 13-21 « tu es fou ».
Nous venons d’entendre l’histoire d’un homme qui a bien organisé sa vie. Ce sera une vie confortable, ne manquant de rien, voire recherchant le superflu au cas où. Et voilà que la réalité le rattrape dans la recherche d’un confort toujours plus grand. «Tu es fou. Cette nuit on te redemandera ta vie ».
«Tu es fou ». Comment comprendre ces mots ? Certains peuvent les recevoir comme un jugement moral très sévère. D’autres comme une condamnation par Dieu de l’insécurité ou méchanceté de cet homme qui refuse de partager ses biens. De telles attitudes ne ressemblent pas à l’agir de Dieu. Il y a une autre manière de comprendre. Jésus veut plutôt le réveiller, le sortir de « petit monde », de son rêve illusoire d’avoir toujours plus, de tout ramener à lui.
Les mots « Je » - que dois-je faire? Je ne sais pas… voici ce que je vais faire -et le mot « moi » --je me dirais à moi-même - apparaissent dix fois dans cette courte parabole. Et quand il dit « tu », - « te voilà avec des réserves », c’est encore pour se parler à lui-même. L’homme de la parabole vit dans un monde où l’autre n’existe pas. « Malheur à celui qui est seul, s’il vient à tomber, il n’aura personne pour le relever (Qo 4, 7)». Il se condamne lui-même à la solitude, à vivre frustré. Renfermé. Dans ce contexte « tu es fou » devient une parole libératrice de sa petite prison. « Réveilles-toi » « Wake-up ». Jésus lui offre de se réveiller d’une mauvaise manière de vivre.
Nous aussi, comme cet homme de la parabole, devons apprendre à appartenir à une histoire, à un monde, qui dépasse beaucoup notre « petit monde ». À l’heure d’une culture idolâtrique du « moi », nous devons apprendre à vivre nos vies à partir de « l’indicatif » « pour » les autres. Il y dans de petit mot « pour » un appel à l’exode, à la kénose, à la dépossession, au détachement de soi. Nous sommes des disciples d’un Dieu qui est dans sa Personne l’anti-possession. Tous les textes de cette liturgie nous font entendre une invitation au détachement… de nos « moi », de nos « avoirs ». « Vanité des vanités ». « Recherchez les réalités d’en haut ». « Gardez-vous de toute âpreté au gain car la vie de l=homme ne dépend pas de ses richesses »»
« Tu es fou ». Il ne s’agit pas d’éliminer notre « moi » mais de renoncer à nos nostalgies infantiles de tout ramener à soi, à briser ce repli sur soi qui nous étouffe. Il s’agit pas de l’extinction du moi mais au contraire de la « découverte de ce qu’il est dans sa vérité» (drewermann eugen Dieu en toute liberté, Ed Michel 1997 p324) » Cette manière là est un véritable sacrifice dans le sens qu’il s’agit de vivre en faisant le bien. (Augustin).
« Tu es fou ». Il ne s’agit pas de vivre sans rien posséder mais de vivre sans vouloir tout posséder. C’est l’usage que nous faisons de bien qui est « fou » et conduit à « la débauche, au mensonge, à cet appétit de jouissance ». Nous avons tous et toutes envie d’être le centre du monde. Un célèbre dramaturge anglais, Noel Coward, rencontrait un jour un ami de longue date qu’il n’avait pas vu depuis des années. Il lui dit : « nous n’avons pas beaucoup de temps pour parler de nous deux. Alors parlons de moi ».
Nous sommes tous et toutes d’une manière plus ou moins prononcée, attachés à nos personnes, aux biens. Pour plusieurs, cet attachement demeure l’horizon principal de leur quotidien, leur préoccupation première. Mais pour le chrétien, notre horizon principal est de « revêtir l’homme nouveau », de « tendre vers les réalités d’en haut » de « faire mourir en nous ce qui appartient à la terre » de « nous débarrasser de nos agissements de l’homme ancien ». La grande révélation que Jésus nous a apportée c’est qu’en nous, en nos «moi», en nos personnes, «il n’y a que le Christ ».
Mais comment nous enrichir du Christ ? Revêtir les vêtements du Christ ? La réponse est simple mais difficile. Vivre dans un esprit de détachement et non d’attachement en devenant sourd aux appels à la consommation, en devenant aveugle pour ne plus être attirés par l’obligation de posséder la dernière voiture, le dernier téléphone cellulaire, en devenant muet pour taire tous ces cris intérieurs qui nous rendent si misérable.
Demandons avec insistance comme l’exprimait l’évangile dimanche dernier, et j’emprunte cette demande à un Père de l’Église : « Colle Jésus à ta respiration et tu comprendras toute la richesse de ne rien avoir car tu auras en toi le souffle de Dieu». Que cette eucharistie nous accorde le courage de lâcher nos vies, nos « moi » pour tomber dans les mains du Dieu vivant. AMEN
Ajouter un commentaire