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LA PAROLE NOUS DOIT BEAUCOUP ( soirée pénitentielle)

SOIRÉE PÉNITENTIELLE    LA PAROLE NOUS DOIT BEAUCOUP…

En guise d’ouverture : Une soirée confusion

Toute la démarche de cette soirée, c’est de passer d’une confusion à l’autre. Confusion, tel est bien ce que nous vivons face à ce sacrement du pardon : confus par nos comportements non évangéliques; confus par la générosité de Dieu, sa grande bonté et compassion; confus du non-sens de nos manières de vivre comme des paroles de Dieu, confus de l’invitation du Verbe de Dieu à quémander notre autorisation pour montrer sa manière de vivre à notre monde.

Confusion : Avouer n’est plus dans nos mœurs, tant il y a des circonstances atténuantes; mais c’est un acte de libération d’un secret paralysant. Dans la tragédie ancienne, Œdipe se crève les yeux à la vue de ses actes. Dans l’Évangile, Marie Madeleine conserve les siens pour verser des larmes sur les pieds de Jésus

Confusion : entre respecter notre engagement à : « rejetez-vous le péché »,  et notre désir de nous priver de rien.  Confusion de nous voir si facilement pardonnés et rapidité à ne rien vouloir changer dans nos vies.  Confusion : il ne s’agit pas d’être mécontents de nous-mêmes mais d’être contents de Dieu. Il ne s’agit pas tant de confesser nos échecs, que d’accueillir sa miséricorde. Il s’agit moins de nous déposséder de nos culpabilités, que de nous ouvrir au triomphe de la passion du Christ dans nos vies..

Confusion « si notre cœur venait à nous condamner, Dieu est plus grand que notre cœur ».  Devant nos inaptitudes presque légendaires à mieux parler que vivre l’Évangile, Dieu ne se plaint pas, il ne nous fait pas entendre ses cris de blessé, il nous attend pour nous mettre une bague au doigt et nous offrir un repas pascal, inoubliable

La confusion est inscrite au cœur même de la démarche pénitentielle : confesser individuellement ou recevoir communautairement le pardon. Elle fait même partie prenante du psaume pénitentielle de l’Église (150) « miserere ». Il commence par le Magnificat du pécheur : « ma faute est devant toi sans relâche », et se poursuit par un appel : « Rends-moi la joie de ton salut »  et se termine par notre ouverture à l’autre : « Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange ». Ce psaume, confusion par excellence, ramasse merveilleusement toute cette soirée. 

Et que dire de la confusion même de mystère de Jésus qui nous offre son pardon : nous disons que nos péchés ont crucifié Jésus; il nous dit qu’il s’est livré librement. Nous disons que la croix est une souffrance inimaginable; il nous dit qu’elle est davantage un bienfait pour nous. Nous affirmons que notre péché conduit le « premier né d’entre les morts » dans un abime de douleurs; lui répond qu’il nous fait tomber dans l’abîme de sa charité démesurée. Nous affirmons que le péché nous fait tomber en nous-mêmes, dans nos « moi »; lui clame que notre péché fait tomber Dieu en nous.

            La confusion des confusions, c’est Dieu qui vient se réconcilier avec nous alors que nous sommes en chemin.  Notre péché permet à Dieu de naître, de vivre, de mourir pour nous. Il nous a valu un tel rédempteur. Son cœur blessé, nous donne l’assurance qu’il va nous blesser de son amour. Comme l’exprime Isaac de l’Étoile,  « le Christ tout-puissant peut tout par lui-même : baptiser, consacrer, remettre les péchés, mais il ne peut rien faire sans l’épouse ».  Jésus, la parole, s’avance vers nous sur la mer agitée de nos barques et, comme hier sur le lac de Galilée, il ordonne aux vents de nos mers intérieures de s’arrêter et il se produira un grand calme.  Entrons dans ce si grand mystère.

 

CAUSERIE :

 

CE SONT NOS PÉCHÉS QUI ATTIRENT DIEU VERS NOUS….

            Ce soir, je nous souhaite d’être sages, d’être attentifs à ce que nous suggère l’Esprit de Dieu :   notre péché, notre situation de ténèbres a valu à Dieu de naître parmi nous. Dieu nous doit beaucoup. C’est l’existence du premier Adam qui doit, au second, son existence (Rm 5, 12-21).

Nous savons, et nous l’entendons clamer jusqu’à saturation, que « par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde », dans nos vies (Rm 5, 12). Nous chantons, à la naissance de Jésus, qu’un Sauveur nous est né.  Nous devons beaucoup à Dieu, venu pour nous sauver. Cette vision si vraie soit-elle, est un regard à partir d’en bas, un regard humain de croyant, un regard, permettez-moi de l’exprimer ainsi, négatif. Nous sommes tellement habitués à ne voir d’abord que la noirceur, que nous oublions de donner priorité à la lumière dans nos regards. Nous vivons en état de désolation plutôt qu’en état d’émerveillement.

Cette soirée veut vous offrir un autre regard, un regard par en-haut, le regard de Dieu : Dieu nous doit beaucoup. Il nous doit sa naissance. Il nous doit de s’être arraché d’une terre paradisiaque pour goûter la nôtre. Il nous doit de s’être arraché à son « moi » pour habiter le nôtre. Il nous doit sa pauvreté, lui qui était riche, mais non complaisant en lui-même.

C’est à cause de nous que Dieu a assumé notre condition humaine, qu’il s’est enrichi de notre humanité.  Dieu nous doit de bénéficier aujourd’hui de sa présence. Le nouvel Adam, en qui la grâce de Dieu surabonde, nous rend désormais accessible à l’abondance de sa vie (Rm 5 12-20). « Nous faut-il demeurer dans le péché afin que la grâce de Dieu abonde », se demande alors Paul qui s’empresse de répondre : « non » (Rm 6,1).

Saint Augustin a utilisé un langage très fort quand il écrivait : « même avec la conscience que le mal nous habite, chantons notre Alléluia comme les autres. Ne nous laissons pas aller à la paresse; chantons et marchons » (Sermon 256, 3 : PL 38, 1191, 1192-1193). C’est une soirée pour marcher vers le bien, alors que d’autres progressent vers le mal

Nous arracher de nos « moi »…

Le Christ nous doit de s’être arraché à lui-même pour venir jusqu’à nous. Ce faisant, il nous indique ce même mouvement : nous arracher à nous-mêmes pour devenir lui. Le refus ou l’hésitation à prendre ce chemin, c’est cela le péché.

Mais qu’est-ce que le péché ? Qu’est-ce qui attire tellement Dieu en nous ?

Saint Basile le Grand a donné cette réponse que nous faisons nôtre: « je rougis de l'écrire! J'ai quitté les occupations de la ville comme étant causes de mille maux, et moi-même, je n'ai pu me quitter […] je transporte en effet avec moi mes dispositions intimes, partout je me trouve en butte avec les mêmes troubles, si bien que, de cette solitude, je n'ai pas tiré grand profit ».  Bernard de Clairvaux insistait pour dire que le péché, c’était le « refus de l’exode de la prison de mon moi ».

Plus récemment, Maurice Zundel répondait à la question en disant : « Le péché n'est pas d'abord telle ou telle action contraire à une loi, mais c'est essentiellement ce refus de nous-mêmes, cette possession de nous-mêmes par nous-mêmes. C'est se tourner vers soi. Le mal essentiel, c'est justement de s'être détourné de Dieu et de s'être tourné vers soi » (Silence, parole de vie, p. 61)

Pour qui contemple Jésus, le regarde longuement, passionnément, intensément, cet appel à nous décoller de nous-mêmes ne devrait pas être si dur que cela parce que « celui qui nous donne ce commandement nous aide à faire ce qu’il commande en l’ayant vécu lui-même » (Saint Augustin).

En faisant à Dieu la grâce de naître chez nous, Dieu en retour nous fait la grâce de nous faire voir une autre manière de vivre que pour nous-mêmes. Jésus n’existe pas pour lui-même.  Il refuse de s’identifier à lui-même. Nous pouvons facilement soupçonner que Dieu ne comprends pas notre souci de nous attacher à nous-mêmes. Il ne comprend pas l’appropriation de nos « moi » parce qu’il n’en a aucune expérience.  Jésus ne comprend pas nos désirs de remplir jusqu’au rebord nos greniers, nos « moi ».

Jésus ne comprends pas cette tendance en nous, de tout centrer sur nous-mêmes parce que dans son être même, dans son être trinitaire, il n’est qu’effacement, ouverture à l’autre. Il n’est que don. Dieu ne connaît pas l’égoïsme, la jalousie parce qu’il ne fonctionne pas comme cela. Il n’en a même pas aucune idée. Nous voulons devenir Dieu par orgueil, alors qu’il nous offre de le devenir par humilité (Silouane), le détachement de nous-mêmes.

Nous consacrons beaucoup de temps à revendiquer (certains le font souvent avec violence et parfois avec mépris de l’autre) le droit d’être vu, écouté, admiré, de défendre sa place. Autour de nous, en nous, il y a cette recherche toujours inassouvie de grandeur, d’auto-complaisance, d’auto-mirage, de « l’hédonisme du moi  » (Benoît XVI, Message de Noël 2008).

Dès le premier instant de son entrée chez nous, Jésus, en naissant dans une crèche, nous rappelle sa propre identité ; il n’est rien ; il est dénudé, pas seulement de biens, mais de lui-même. À la crèche, Jésus nous montre la logique du don. Par sa manière d’entrer dans le monde, Jésus, avec délicatesse, nous rappelle que notre identité véritable, notre moi profond émerge quand nous n’existons que pour l’autre. Quand nous vivons détachés de tout. Le Noël de Dieu, c’est un Noël de délestage« Je vis mais ce n’est plus moi qui vis ». Le OUI de Marie est un OUI délestage. Paradoxe, en n’existant plus pour elle-même, Marie devient elle-même. 

Accepter nos crèches :

Dieu nous doit sa crèche, son berceau, sa cabane. Mais la crèche est plus qu’un lieu. C’est Quelqu’un. La crèche, c’est l’identité de Jésus, dénudé, dépossédé, vulnérable dans son abaissement. Ce soir, je vous invite à une prise de conscience qui ne sera jamais assez pénétrante pour percer le mystère, que la crèche vient confirmer que nous sommes avec nos péchés -  celui d’un moi écrasant, d’une langue blessante, d’une jalousie paralysante – la faiblesse de Dieu. Nous sommes les points faibles, la faiblesse de Dieu.  

Sans nos crèches, ces bas-fonds de nos vies, Jésus n’y serait pas entré pour les transformer en paradis retrouvés. Heureuse faute ! et nous nous lamentons sur nos crèches ! Je suis noire mais je suis belle, c’est pour cela que le roi m’a aimé, dit Jean de la Croix dans son cantique spirituel. Dieu veut entrer dans nos crèches. Nous refusons parce que nous sommes trop orgueilleux pour montrer à Dieu nos pailles, nos poutres qu’il veut changer en duvet pascal. Qui s’abaisse sera élevé. 

La révolution copernicienne, opérée par l’Évangile, consiste justement a montrer nos étables avec véracité. Authenticité et humilité pour les ouvrir au pardon. Ouvrir nos Bethléem à l’hospitalité de Dieu qui veut en faire son palais royal. Refuser cet accès, refuser de loger Jésus dans nos cavernes, ces lieux repoussants, c’est ça le péché.

L’ouverture de nos  cavernes est à refaire chaque jour. Chaque matin la lutte recommence. Chaque matin, il faut rebondir pour rouvrir les portes de nos ténèbres à la miséricorde de Dieu. Dans l’une de ses prières, Thomas Moore disait : « Ne me permet pas, Seigneur, que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle moi ».    

Notre véritable grandeur

Une soirée pour nous donner de la grandeur, de la dignité.

Nos crèches ont permis à Dieu de nous donner une grandeur inimaginable en s’age-nouillant devant nous. Par ce geste, qui n’est pas un geste d’hier, Jésus nous dit que nous avons – malgré le péché – du prix, de la valeur, de la grandeur.

Jésus s’est agenouillé devant des traites : devant Juda qui l’a vendu, Pierre qui l’a trahi, Jean qui s’est endormi au jardin, devant ceux qui ont fui quand ils ont réalisé que la partie est perdue. Voici Dieu à genoux pour montrer que notre péché, nos crèches n’aveuglent pas son regard sur nous. Jésus nous voit du côté de la résurrection, du côté de la vie qui fleurit déjà en nous.

Voici Dieu à genoux pour nous offrir son pardon de ne pas nous aimer assez. Ce geste, comme celui d’habiter nos crèches, celui de nous désirer nus hors de nos « moi » orgueilleux, détruit tous nos rêves de grandeur, nos rêves de vivre dans des palais somptueux qui éloignent de nos racines profondes. C’est ça le péché. Notre véritable grandeur ne cherche ni à dominer, ni écraser personne. Le péché ouvre sur une grandeur d’écrasement de l’autre, de renversement de l’autre pour prendre toute la place. Et qui écrasons-nous ?

            Et je conclue par ces mots étourdissants de saint Isaac le Syrien, moine à Ninive, près de Mossoul en Irak, qui affirmait déjà au V11e siècle : « celui qui reconnaît ses propres péchés est plus grand que celui qui ressuscite les morts par sa prière. Celui qui gémit une heure sur son âme est plus grand que celui qui embrasse le monde entier par sa contemplation. Celui qui a qui a été donné de voit la vérité sur lui-même est plus grand que celui à qui a été donne de voir les anges ».

Ce soir, allons vers le Verbe ; prenons un peu de temps en silence pour nous demander : quelle grandeur avons-nous ?

 

 

 

 

 

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Date: 
Mercredi, 1 avril, 2015

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