Année B : dimanche de la 29e semaine ORDINAIRE (litbo29d.24)
Mc 10, 35-45 : se perdre de vue.
Un philosophe grec Héraclite a dit un jour qu’on ne peut entrer deux fois dans la même rivière. Il signifiait que l’eau n’est plus la même, elle bouge. Nous ne pouvons pas lire deux fois ce texte très connu sans en saisir quelque chose de différent.
Ce qui est très clair pour moi, c’est que ce message de Jésus n’est pas encore compris. Récemment dans une lettre qu’il adressait aux nouveaux cardinaux, le pape leur écrit qu’ils ne sont pas des éminences, mais des serviteurs. C’est cela que l’Église à le plus de besoin, leur dit-il.
Jésus ne condamne pas l’attitude de deux disciples qui ne manquent pas de culot ni d’audace. En voyant leur maître qui a le vent dans les voiles, ils ne veulent pas manquer leur chance de monter en grade, de grimper plus haut.
Ce qui m’étonne, c’est que Jésus ne leur reproche pas leur rêve, leurs intriques, leurs jeux de pouvoir pour obtenir la pole position. Il n’oppose même pas une fin de non-recevoir à leur rêve. Il leur indique un autre chemin. Une autre grandeur. Il leur propose de se perdre de vue. De ne plus s’admirer.
Se perdre de vue, voilà ce que je comprends du chemin que Jésus leur suggère. Jésus a pris ce chemin. Il ne détenait aucun pouvoir politique ou religieux. La foule le recherchait parce qu’il était bon, respectait tout le monde, parlait à tout le monde, s’assoyait à toutes les tables. Il était profondément humain.
Le baptême qu’il demande à ses disciples est celui de ne pas désirer être vu habillé de vêtements spontueux, de ne pas condamner les gens qui ne pensent pas comme eux. Prenez garde de ne pas être tentés de vous-mêmes (Ga 6, 1). Voulons-nous passer de la visibilité à la joie de disparaître et de servir, à extirper l’instinct très humain de domination et d’accepter de ne rien contrôler ? Voulons-nous refuser une vie de grande visibilité et d’accepter de n’avoir aucun pouvoir sur les autres. Le chemin que propose Jésus est de tourner le dos à un moi imposant pour l’ouvrir à son moi qui n’existe pas encore en nous.
Ce baptême-là nous le vivons actuellement quand nous voyons notre Église ne plus être considérée, de n’être plus écoutée, quand nous voyons des églises démolies ou recyclées. Notre image d’une puissance Église n’existe plus. Ce baptême-là est autant sinon plus souffrant que de boire son calice.
C’est aujourd’hui le dimanche des missions. Ne soyons pas naïfs, c’est difficile de vivre ensemble tous en frères. C’est le premier sacrement que Jésus nous offre à vive. La plus belle œuvre d’évangélisation est de vivre en mode communion qui s’exprime par la bienveillance, la réciprocité. Pas évident que de se perdre de vue pour bâtir l’harmonie ! C’est un impossible nécessaire. François d’Assise précise dans sa règle : ne pas se disputer entre nous et avec les autres. Les martyrs canadiens ont tellement impressionné par leur manière de vivre qu’on désirait manger leur cœur pour avoir leur courage.
Jésus n’a pas d’autre plan d’évangélisation que celui-là. Le style Jésus est de jaser avec tout le monde. Il s’annonce les deux pieds sur le terrain et pas seulement avec un cœur tourné vers le ciel. Dans l’encyclique Fratelli tutti, le pape écrit que le dialogue entre personnes de religions différentes ne se réalise pas par simple diplomatie, amabilité ou tolérance.
Dans la lointaine antiquité, un professeur posait à un sage moine une question qui allait transformer sa vie. Avec étonnement, le sage moine lui donna cette réponse : Et le qu’avons-nous vraiment besoin ? Je donne ma réponse : savoir se perdre de vue pour mieux montrer Jésus en nous.
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