Année A : fête du Christ-roi.
Mt 25, 21-46 : devenez ciel pour les autres.
En écoutant cette page trop connue, archi connue, monte en moi une autre parole, celle adressée par Dieu à Caïn (Gn 4,9) qu’as-tu fait de ton frère ? Saint Vincent de Paul sur son lit de mort a répondu : je n’en ai pas fait assez. Nul d’entre nous ne doit être satisfait de ce qu’il fait pour les autres. Il n’y a pas de limite à servir les autres. Voilà la profondeur où nous conduit cette page décrite comme le jugement dernier. Ceux qui ne font rien ne font jamais de gaffe, mais toute leur vie en est une.
Nous entendre dire venez les bénis de mon Père commence quand ici-bas nous sommes ciel pour les autres. Aider, se faire proche est notre première tâche comme chrétien. Notre baptême nous fait devenir ciel (Jean Chrysostome). Le ciel est en toi, disent les mystiques. Le ciel n’appartient pas à la géographie de l’espace, mais à la géographie du cœur (Benoît XV1). En nous, il y a un palais de grand prix (Thérèse d’Ávila).
Le ciel - venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume - n’est pas une récompense hors de nos vies. Il se trouve dans nos relations aux autres, dans la qualité de notre présence, dans notre capacité d’être consacrées aux autres. Le ciel se profile dans la qualité de nos relations entre nous, dans nos luttes à bien vivre ensemble avec nos différences et au milieu des nuages ou d’un ciel gris en nous et autour de nous. Le ciel, c’est un sourire, un regard, une parole d’affection, un geste de solidarité. C’est à moi que vous l’avez fait.
Quand nous vivons à ciel ouvert, à cœur ouvert, nous montrons la profondeur de notre intimité avec Jésus. Éloi Leclerc écrit que le Seigneur est là où sont tes frères. L’autre est quelqu’un et non quelque chose qui nous dérange. La vie humaine n’a de sens et ne peut avoir de sens que si on se décoïncide de tout voir à partir de mon moi. Plus notre vie spirituelle est grande, plus nous devenons des « connectés » aux autres. C’est à moi que vous l’avez fait.
On allait à Jésus parce qu’il était ciel, parce qu’il mettait de la couleur dans des yeux tristes, parce qu’il faisait se lever des arc-en-ciel de lumière dans les cœurs. Sa manière de vivre, sa grande compassion inspirait dans les mots du poète Jean Grosjean une espèce de point du jour qui laissait entrevoir le ciel sur la terre. C’est parce que Jésus était ciel tellement éclairant, ciel lumineux, ciel beauté visible du ciel invisible qu’il vivait dans sa relation à son Père, qu’on l’a tué. Les gens en phylactère ne pouvaient pas supporter son immensité d’humanité, sa chaleur humaine, sa capacité d’engendrer une paix profonde dans les cœurs.
Ce passage sur le jugement dernier est de la dynamite. C’est au cœur de l’humain que se rencontre Dieu. C’est à moi que vous l’avez fait. Jésus est tout entier sous l’« l’espèce » des pauvres comme il l’est sous l’espèce du pain. La qualité de notre relation aux autres dit la qualité de notre intimité avec Jésus, de notre communion à lui.
Question : pour les « emprisonnés », les indésirables, les sans amour, les alcooliques, les mourants sans ressources, les migrants en recherche d’une terre d’accueil, pour tous ceux qui sont un fardeau pour l’humanité, qui ont perdu tout espoir et foi dans la vie, qui ont oublié ce que c’est que sourire, sommes-nous ciel pour eux ou contribuons-nous à les enfoncer dans l’enfer d’une vie sans vie ? Si nous leur tournons le dos, nous le tournons au Christ. S’en approcher, c’est s’approcher de Jésus. C’est communier autrement à Jésus.
Nous n’en finirons jamais de saisir que les affamés, les prisonniers, les sans-logis, les étrangers, les malades sont des présences réelles de Dieu au milieu de nous. Ils sont des médicaments à prendre pour nous guérir de toujours vivre qu’en ne songeant qu’à soi. L’intimité la plus délicieuse avec Jésus dans l’eucharistie postule la solidarité la plus « industrieuse » avec les maganés de nos vies.
Je termine par cette réflexion d’un mystique indien : vous faites des prières à votre Dieu alors que quelqu’un frappe à votre porte. Si vous l’ignorez, votre prière est profanation. Vous fermez votre porte à un visiteur inattendu et vous offrez un rituel à votre Dieu. Si vous ne savez pas reconnaître que l’hôte et Dieu sont identiques, votre liturgie est profanation. Devenons ciel pour les autres et nous entendrons avec étonnement le Roi-serviteur nous dire : recevez en héritage le royaume (le ciel) préparé pour vous depuis la fondation du monde. AMEN.
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