Année A : samedi de la 3e semaine de Pâques (litap03s.23
Jn 6, 60-69 - rester ou déserter.
Ne pensez pas, écrivait Origène au IIIe siècle, qu’il suffit de se renouveler une fois. Il faut renouveler la nouveauté elle-même. Ce matin, renouveler la nouveauté de la question de Pierre. Pourquoi restons-nous dans l’Église ? Pourquoi revenons-nous nous asseoir chaque jour autour de cette table ? Sommes-nous heureux dans cette Église atteinte d’un cancer intérieur qui ronge son énergie ? Sa crédibilité ? Sa Parole ? Avons-nous un pied dedans et l’autre dehors ? Savons-nous renouveler notre confiance éteinte, qui n’est plus là ? Morte peut-être ? Devant ces questions très réelles, profondes, devant le tsunami qui ébranle notre foi, il faut aussi entendre la tristesse qu’éprouve Jésus en la posant : et vous, voulez-vous me quitter ?
Non, ce n’est pas mal de questionner une Église que nous aimons. D’en questionner ses dépravations. Ce qui est mal [est] de les attribuer aux autres seulement et de se croire innocents, pauvres, bons (Carlo Carretto). Ce qui est mal est de songer un seul instant que nous connaissons celui qui nous questionne. Voulez-vous ? On n’est pas dans l’incarnation que Jésus a prise sur lui à bras de corps sans répondre à la question, toujours à réentendre, de Jésus. Refuser nos questionnements sur les dépravations actuelles, c’est refuser d’entendre Jésus nous dire : je serai toujours avec vous.
Pour François Cassingena-Tréverdy, moine, poète, écrivain, c’est vivre en altitude, que vivre dans l’interrogation[1]. Chaque question, rester ou déserter, contribue à élargir notre regard en nous faisant prendre un peu de recul. Elle nous élève, nous fait voir plus loin, plus en profondeur. Il est frappant d’observer que tout dans cette finale de Jean sur l’eucharistie, que chaque mot contribue à élargir notre regard sur Jésus. Il est plus que ce que nous voyons. Plus que ce que nous en savons. Chacune de nos questions nous aspire vers le haut.
Nos questions actuelles sont nécessaires. C’est la question du Petit Prince étonné devant tout. C’est la question des enfants, celle des chercheurs. Celle de Jésus, ce matin. Question brûlante comme le buisson ardent. Question qui nous évite d’enfermer Jésus dans ce qu’on a toujours cru comme ça. Dès que nous enfermons Jésus dans nos connaissances, il n’est plus là. Chaque question nous dépouille, nous fait avancer dans l’obscurité qui réfléchit la lumière. C’est dans la pénombre que la lumière est belle (Fred Pèlerin).
Cette question voulez-vous me quitter, Jésus nous la pose. Me la pose personnellement. Et je n’ai comme réponse que la mienne : ce qui, à ce jour, me préserve de la désespérance est de n’avoir jamais divinisé l’Église que je sais faite, comme moi, de pâte humaine. De ne jamais avoir sacralisé mon sacerdoce jusqu’à le rendre intouchable.
Jésus n’offre pas aux siens, amuse-gueule ou un apéro. Il exprime son désir de nous voir vivre comme lui. Cette manière est trop dure. Certains le quittèrent. Et vous ? ajoute Jésus. Sa vie donne l’exemple de ce qu’est une vie nouvelle. C’est un changement radical, une sorte de fission nucléaire, pour utiliser une image du pape Benoît, qui suscite un processus qui transfigurera le monde entier[2]. La question de Jésus a aujourd’hui le même impact que chez les disciples de la première heure.
À votre contemplation. Que cherchons-nous en venant à cette table ? Une "recette" facile ? Quel est le désir qui nous pousse à célébrer chaque jour l’eucharistie ? Que cherchez-vous, ici, en vivant en communauté ? Il arrive parfois que derrière les apparences de religiosité et même d'amour pour l'Église, on recherche en réalité la gloire humaine et le bien-être personnel[3] . Quand notre rencontre avec Jésus devient totale, elle ouvre sur la lumière qui jaillit de l’eucharistie, ce pain de vie (cf. Mane nobiscum domine # 11 et 12). Elle nous fait, comme Claire d’Assise, des femmes de lumière. Amen.
[1] - François Cassingena-Tréverdy Propos d’altitude, éditions Albin Michel, 2023
[2] - Pape Benoît XVI, exhortation apostolique Sacramentum caritatis.
[3] - Exhortation apostolique Evangelii gaudium # 93
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