Année C : samedi de la 3e semaine de PÂQUES (Litcp03s.22)
Jn 6, 60-69; Ac 9, 31-42 l’eucharistie comme crise.
Jésus, nous venons de l’entendre, affronte une crise profonde qu’il ne faut pas confondre avec une situation de conflit. Jésus n’est pas en conflit avec ses disciples. Il vit une crise d’incompréhension, de désolidarisation de son équipe pastorale. Trois ans d’efforts pour s’entendre dire cette parole est trop dure. Jésus qui est conscient que de se présenter comme nourriture, comme pain de vie risque de scandaliser. Cela vous scandalise ? (V. 61). Cela peut aussi engendrer une profession de foi : Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle (V. 68).
Ne nous mentons pas, chaque prise de parole de Jésus est trop dure à entendre et provoque déchirement, bouleversement, questionnement. Chaque parole de Jésus désarme, écorche nos certitudes. Sa manière de vivre est un perpétuel questionnement des convictions de ses disciples. Jésus semble détruire les conventions millénaires du peuple. Il brise la loi bien-aimée, mange le jour du sabbat, touche les impurs, côtoie les prostituées.
e qui est trop dur à comprendre, c’est que lorsque Jésus annonce son départ à ses disciples, il ajoute que ce sera l’occasion, le moment favorable pour découvrir qu’il sera encore plus proche d’eux qu’avant, qu’il sera toujours avec eux, qu’il ne les quittera pas. Jésus dépasse la « matérialité » de sa présence. Celui qui mange mon corps vivra. C’est une invitation à l’intimité. Jésus cherche une façon plus intime de leur être présent, d’être plus près de nous. Si vous trouvez, dit Jésus, le fardeau trop lourd, mangez-moi. Jésus assure aux siens qu’il leur sera présent, qu’il les accompagnera même s’ils ne le voient pas physiquement.
Ce qui est dur à entendre, à envisager est la pierre angulaire de notre foi. Saint Paul écrit aux Éphésiens (4, 31) : amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie. À bien lire l’évangile, à vivre le saint évangile même imparfaitement, c’est entrer dans un état de crise perpétuelle tant elle est la spécialité de la Maison (Timothy Radcliffe, op.). Le pape François en parle comme un temps de grâce[1], de discernement qui nous sort de notre engourdissement.
En conclusion du chapitre six sur l’eucharistie, Jean invite à dépasser la « matérialité » du geste. Il affirme qu’il leur sera présent, mais surtout (c’est moins souligné) qu’il les veut présents près de lui. C’est cela que les disciples trouvaient trop dur. Jésus rendait ses disciples présents à jamais près de lui. Comment être présent à un absent ? L’Eucharistie n’a pas pour but écrit Maurice Zundel, de rendre présent le Christ. Elle a pour but de nous rendre présents au Christ[2].
Dans l’évangile d’aujourd’hui, il y a des disciples de Jésus qui se disaient : ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter. Dès les premiers temps du christianisme, les docteurs de la foi chrétienne disaient : si tu comprends, ce n’est pas Dieu que tu as trouvé. Dieu ne peut être ramené à aucune formule : si tu comprends, ce n’est pas Dieu.
Allez-vous me quitter, vous aussi ? Laissons-nous surprendre par le choc de la question que nous pose Jésus, comme il la posait à ses apôtres. Laissons-la résonner en nous. Laissons-la nous travailler. Avant de répondre, saint Bernard fait observer qu’il faut apprendre de Lui qu’il nous veut libres, qu’il nous veut adhérer à Lui de tout notre être.
À votre contemplation. Vous vous souvenez de ce vigneron qui proposait au maître de la vigne de lui donner une année de plus pour qu’il bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir (Lc 13,9). Cette même demande du vigneron rebondit aujourd’hui. Il faut du temps pour se mouiller à la grâce (Péguy). Il faut du temps pour que la crise que nous traversons comme Église soit salutaire. Il faut beaucoup de temps, une vie entière, pour répondre comme Pierre, à qui irons-nous, tu as les paroles de la vie éternelle. AMEN.
[1]http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2020/december/documents/papa-francesco_20201221_curia-romana.html le père Spaduro sj mentionne que le mot revient plus de 46 fois dans le texte.
[2] Zundel Maurice, ta Parole est une source, Anne Sigier, p. 293
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