Année B : mercredi de la 13e semaine ordinaire (litbo13me.21)
Mt 8, 28-34 ; Gn 21, 5.8-20 : être libre comme l’air, est-ce possible ?
Nous venons de vivre une longue période d’enfermement. Nous en sortons amochés physiquement, mentalement, socialement. Nous sommes des êtres de relations. Antoine de Saint Exupéry écrit que le plus beau métier est le métier d’unir les hommes. Le pape écrit dans sa lettre sur la fraternité (# 35) qu’après la crise sanitaire, la pire réaction serait de nous enfoncer davantage dans une fièvre consumériste et dans de nouvelles formes d’auto-préservation égoïste.
Nous ne sommes pas en présence d’une page fiction, d’une autre époque. Les éditions Artège en 2019 publiaient Je suis possédé. C’est l’histoire bouleversante d’un homme, Michel Chiron, qui durant neuf mois a vécu sous l’emprise d’une force incontrôlable. Toute ma pensée était possédée, démoniaque, dit-il.
Les possédés dont parle l’évangile vivent dans un état lamentable d’enfermement. Ils sont dans un état permanent d’hystérie, se comportent de façon insensée, ont perdu la tête, sont incontrôlables. Ils souffrent de vives convulsions, sont tourmentés, malheureux et rendent malheureux leur entourage. Ils vivent au milieu des tombes, précise Matthieu et Marc. Quoi de plus pénible que de voir dépérir des êtres chers sans ne pouvoir rien faire pour eux !
À l’époque de Jésus devant ces situations intenables qu’on appelle aujourd’hui épileptiques, on concluait qu’ils sont possédés du démon. On fait appel à des guérisseurs, des magiciens, des exorcistes[1]. Jésus s’oppose à une telle vision. Il n’est pas un guérisseur comme la culture de l’époque peut le percevoir. Pensez-vous que ces Galiléens sont de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? (Cf. Lc 13, 1-9). Le pape Jean-Paul 11 en 1998 recommande qu’on consulte un médecin avant tout exorcisme.
Jésus, écrit José Pagola, semble établir avec les possédés une relation particulière…il suffit de sa présence et du pouvoir de sa Parole pour qu’il s’impose. […] Il ne dit pas au nom de qui il expulse les démons, n’invoque aucune force secrète[2]. C’est la force de sa présence qui guérit. C’est rencontrer Jésus qui guérit. En voyant Jésus, les deux possédés sont pris de panique et l’implorent de les laisser tranquille. Ils sont purifiés et non se purifient. Le geste de Jésus est un signe d’un monde nouveau, d’un temps messianique.
Une bonne question à nous poser, ce matin, serait de nous demander quels sont mes enfermements ? Nous ne sommes jamais totalement sortis de nos tombeaux. Personne ici n’est libre comme l’air. Nous sommes tous étouffés par quelque chose, des « possédés » par quelque chose. Il faut que l’on sorte le plus vite possible de ce bourbier, m’exprime quelqu’un durant la pandémie. Nos deux possédés vivent la même chose.
Pour nous en sortir, il faut oser nommer ce qui nous entrave, ce qui nous étouffe. Sortir pour entrer dans un vert pâturage. Sortir de nos prisons intérieures pour aller à la rencontre de l’autre, pour bâtir une communauté authentique, fraternelle. Ce travail de libération, de nos « immolations » de nos bibittes intérieures n’est jamais complété une fois pour toutes tant nous avons appris à faire plus qu’à être. En nous, il y a des « il faut », des « j’ai toujours fait comme ça » qui nous emprisonnent.
Ce temps de la Pentecôte comporte plus de trente-quatre semaines justement parce que sortir d’un christianisme souvent réduit à aller à la messe, réduit à un confinement entre nous jusqu’à vivre dans un esprit communautarisme, protectionnisme, sortir de nos certitudes, de nos vieux schémas théologiques pour rejoindre le Christ sur les routes de la Galilée du monde, pour toucher les joies, les espoirs, les tristesses des hommes de ce temps (GS 1), prend du temps.
Mgr Guy Riobé (+ 1978), l'un de ces hommes d'aube tournés vers l'avenir, aux avant-postes d'une nouvelle manière de vivre, disait que si nous marchions sous l’impulsion de l’Esprit le christianisme serait feu, vie, sens, souffle créateur, amour inventif au service des autres.
Empressons-nous d’immoler ce qui nous empêchent de vivre au service des autres. AMEN.
Autre réflexion sur le même passage :
[1] Marguerat Daniel, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Ed Seuil, 2019, p.101
[2] Pagola José Antonio, Jésus approche historique, ed. Cerf, 2019, p. 180
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