Année B : mercredi de la 3er semaine du carême (litbc03me.21)
Mt 5, 17-19 : Dt 4, 1.5-9 : quelque chose de neuf commence
Je commence par une affirmation d’un auteur québécois, Hector de Saint Denys Garneau, qui sans porter la signature Jésus en dicte son esprit : le sage n’est pas celui qui s’affranchit des règles, mais celui qui les possède au point de pouvoir les dépasser. Avec Jésus, quelque chose commence qui prend possession de l’avenir (Jean Daniélou). Matthieu dit que Jésus accomplit la loi. Vous avez entendu, moi, je vous dis (Mt 5. 20). La loi nous culpabilise. Jésus nous libère de son esclavage[1].
Dans l’un des textes les plus forts du Nouveau Testament, Paul exprime le mieux l’esprit de Jésus quand il demande aux Galates de sortir de l’esclavage, de la servitude, de dépendance de la loi de Moïse parce que leur foi au Christ les en a libérés. C’est par la foi et non par l’observance religieuse si parfaite soit-elle qu’on devient chrétien. Nous connaissons cette affirmation d’Archimède : donne-moi où point d’appui et je soulèverai le monde. C’est la foi qui est ce point d’appui capable de nous tenir hors de l’esprit du monde pour revêtir l’esprit de Jésus qui rend libre, dit Paul.
Ce qui repousse plusieurs chrétiens à se tenir loin d’une pratique religieuse est justement qu’ils ont été blessés par un christianisme devenu une religion de la loi, alors qu’il est né comme une libération de la loi[2]. L’insistance sur la pratique de la loi peut devenir pour les chrétiens, dit l’auteur, une illusion qui permet d’éviter l’esprit du christianisme. Le carême n’est jamais pour satisfaire une loi, fut-elle la conversion. Il permet de nous libérer progressivement des choses d’en bas, accompagné par une Église, hôpital de campagne (François 3/9/2013), image associée à la miséricorde de Dieu pour nous.
Au temps de Jésus, la décadence des mœurs chez les leaders est bien présente. La multiplication des lois n’arrive pas à freiner l’hémorragie d’un environnement corrompu. Bien avant Jésus, dans la lointaine antiquité, le philosophe Tacite observe que plus un État est corrompu, plus les lois se multiplient. Moi, je vous dis. C’est un choc culturel entre l’esprit de Jésus et l’esprit du monde. Notre moi est comme un mur, si nous ne l'abattons pas, nous empêchons Dieu d'entrer en nous et de nous inonder de sa Grâce (Carlos Acutis).
Matthieu insiste sur la nouvelle loi. Jésus, dit-il, n’est pas contre les lois, je ne suis pas venu l’abolir. Il fait miroiter un avenir inouï, presque inaudible. En exprimant son désaccord à la corruption des mœurs de chefs religieux et politiques, Jésus invente une nouvelle manière d’exister. Vous faites peser des fardeaux bien lourds aux autres (cf. Mt 23, 4). Il redonne toute la noblesse à la loi en priorisant plutôt la personne que les normes de pureté. Le shabbat et fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat (cf. Mc 2, 27).
Grand érudit de la personne humaine, Jésus ne pense pas son projet de royaume en termes légalistes, mais d’accomplissement, de liberté, dit saint Paul. Il ne s’oppose pas à une certaine discipline de vie. Son appel à la conversion favorise une vie « disciplinée » en regard de l’engouement qui est de tous les temps pour le paraître. Jésus revendique quelque chose de plus élevé qu’une observance rigide, souvent du tape-à-l’œil. En vivant en sa personne la loi nouvelle, Jésus devient aux yeux de tous, créature nouvelle, création nouvelle, bâtisseur d’un chemin neuf, ouvert, accessible à toutes les cultures, toutes les religions, toutes les croyances. Celui que le pape identifie comme l’amitié sociale, l’autre nom de la fraternité.
Isaïe (11, 6-7) a prophétisé ce chemin : le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. Il trace un chemin de proximité universelle qui exigeait plus qu’un savoir bien faire, mais un savoir bien-être ensemble, bien vivre ensemble (Cf. Fratelli # 158).
Ce chemin existe-t-il tant nous avons mutilé ce moi, je vous dis ? Dans cette affirmation, reconnue comme authentiquement de Jésus, il y a tout l’esprit du christianisme, tout l’Évangile qui n’est pas un code moral à suivre et qui dépasse les frontières de toute religion. Quand il est dit dans la lecture écoute, Israël, ce n'est pas une simple exhortation morale. C’est une libération d’une alliance des choses d’en bas.
Osons dire, nous dira la liturgie tantôt. Osons nous laisser éblouir par ce moi, je vous dis. Ces mots définissent l’identité chrétienne. Moi, je vous dis. Ne soyons pas un obstacle ou un mur en étant juges des autres. Soyons des gens de proximité envers ceux que je ne considère pas spontanément comme faisant partie de mon centre d’intérêt (Cf. Ft # 97). Cela n’est pas quelque chose d’automatique […] c’est un processus lent, difficile (Cf. Ft # 158), […] un exercice suprême de la charité (Cf. Ft # 180).
À votre contemplation : ne cherchons pas à être vacciné contre ce virus de la proximité que l’évangile appelle amour. Nous sommes tous en chemin vers la réalisation de cette loi nouvelle qui ne sera jamais parfaitement réalisé en nous. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[1] Je m’inspire beaucoup du livre croire dans le monde avenir, lettre de Jacques à nos contemporains de Dominique Collin Éd. Fidélité, 2020, 138p. Il s’agit d’un commentaire de l’épitre aux Galates.
[2] Dominique Collin op, le christianisme n’existe pas encore, Ed Salvator 2018
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