Homélie donnée lors des funérailles de SŒUR PACELLI.
Évangile : Mt 11, 25-30
La mort, c’est la vie qui se recueille, recueillons-nous.
Sœur mort, l’amie de ton ami François, est venue te chercher. Viens vers moi, demeure dans mon amour.
C’était le 19 octobre 1962, Sœur Pacelli, étendue devant l'autel, demandait à Dieu de renouveler sa consécration baptismale par la profession religieuse dans l’Ordre de Sainte Claire. Elle demandait la miséricorde de pouvoir prêcher par toute sa vie l’inouï de l’Évangile de la Vie. Elle répondait à l’appel de Jésus : voulez-vous être à moi ? Elle s’est alors mise à la recherche de la pente du bien, pour citer Marie de l’Incarnation, dont elle fut une grande passionnée pour son mariage apostolique.
Aujourd’hui après soixante et trois ans de vie monastique, sœur Pacelli, étendue de nouveau devant cet autel, dit au Dieu de sa foi : reçois-moi, voici, je viens. Et le Dieu de sa foi lui fait entendre à jamais sa réponse : viens, ma bien-aimée, viens ma toute belle, vers moi. Et nous, à ses côtés, nous prions le Seigneur : Reçois-la Seigneur, avec la même miséricorde que tu lui as prodiguée tout au long de sa vie.
Entre ces deux prostrations, Sœur Pacelli n’a cessé de perfectionner sa profession de foi, belle et vraie, bonne et consolante. Elle a installé Dieu (il serait trop long de préciser le sens qu’elle donnait à ce mot) dans les banlieues de son cœur en prenant au sérieux cette demande de Jésus : que vous portiez beaucoup de fruits. Sa vie nous fait voir un beau fruit, celui de demeurer en Jésus et elle a fait résonner ce beau fruit comme mentor à nos oreilles profanes. À nos oreilles de chair. À nos oreilles du cœur aussi.
Sœur Pacelli a quitté il y a plus de vingt-cinq ans sa Galilée natale pour une autre terre, la nôtre ici. Maintenant elle retourne chez elle chez Dieu, elle dont la sagesse et je cite Thérèse d’Avila, a pris plaisir à demeurer en elle. Pour elle, le temps des mots qu’elle savait faire danser dans toutes leurs nuances est passé. Commence le temps du regard : regarde-le, médite-le, contemple-le.
Et si nous sommes, ici, aujourd’hui autour d’elle, c’est que, pour beaucoup d’entre nous, elle fut une mentor tant sa parole et sa présence ont éclairé nos chemins d’une lumière qui ne s’éteint pas : la lumière de sa foi, la Lumière tout court, le Seigneur Jésus.
Un passage d’Évangile dit ceci : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Sr Pacelli n’était pas toute petite, selon les critères du monde ; elle fut plus que douée et avait du tempérament. Il exprimait clairement ses positions, mais une fois une décision prise par la communauté, elle la faisait sienne. À l’accueil chaque semaine, j’ai vite compris qu’il ne me fallait pas répondre à ses questions qui étaient son chemin préféré pour amorcer ses propres réflexions. Ses connaissances n’étaient pas seulement stockées dans sa mémoire. Elle savait les maîtriser et en rendre compte dans un langage simple et limpide, à la portée de tous. Et ce fut particulièrement vrai pour toutes les personnes qu’elle a su accompagné à l’accueil du monastère. Elle souffrait que notre langage sur Dieu manquât de profondeur. Je la cite : on bavarde plus sur Dieu qu’on le montre.
Sa culture du Moyen-Âge émerveillait. M’émerveillait. Ses courts exposés limités à dix minutes, devenus presque annuels à un Centre de recherche médiéval aux États-Unis, qu’elle murissait longuement et rédigeait sous pression à la dernière minute, demeurent des petites perles de précision sur les nuances à apporter aux mots pour leur en donner toute leur profondeur. Ses textes révèlent l’intériorisation de sa foi et pour utiliser une expression populaire, montraient de quel bois elle se chauffait.
Femme de culture, elle savait accompagner les personnes, être mentor de ceux et celle qui venaient à l’accueil y passer quelques jours. Elle leur offrait un menu adapté et fort apprécié. Je songe ici à l’accompagnement d’une chercheuse sur Marie de l’Incarnation jusqu’à fortement l’encourager à entreprendre une thèse doctorale sur cette Thérèse du Nouveau Monde. J’entends son émerveillement à me parler de la mystique apostolique, ce luxe de la sainteté pour citer une publication récente, de cette religieuse contemplative qui dès l’âge de sept ans, désirait être toute à Dieu. Je l’entends me définir avec une joie imprenable qu’une connaissance mystique transfigure toute la condition humaine. Je revois ses yeux pétillants m’exprimer que le mariage spirituel avec Jésus se consomme dans un mariage apostolique. Elle y voyait là le chemin du sauvetage de l’Église en ces heures troubles que nous vivons.
Je songe aux pistes de réflexion qu’elle planifiait pour un Père carme qui, annuellement, venait y passer ses 15 jours de retraite et pour tant d’autres dont je suis à qui elle offrait écoute et parcours personnalisé d’une étonnante profondeur sous des allures d’une grande simplicité. Elle leur exprimait que le premier effet de toute vocation baptismale est la prière qui ouvre des chemins d’avenir.
Femme de lumière, elle savait scruter les cœurs pour y découvrir le feu qui illumine et qui brille (lettre Scrutate). Elle avait des yeux de hibou pour déceler dans le noir apparent des récits qu’elle entendait un chemin de lumière. Elle savait, assise à la table de l’accueil, écouter et accompagner les retraitants-es et sans hésiter appuyait son accompagnement sur son propre cheminement, sa propre recherche de Dieu. Elle ouvrait des portes dès qu’on frappait à sa porte. Sa lampe était toujours allumée.
Femme spirituelle. Deux femmes l’ont accompagné durant sa vie. Marie de l’Incarnation. Ce fut le jour de cette fête liturgique que sr Pacelli connut les premiers symptômes de sa maladie. Et ce fut le jour où l’Église célébrait Marie-Madeleine dont la fête et non plus une simple mémoire liturgique l’a tellement ravi, qu’elle est morte. Ce qui fut premier pour elle était de rendre accessible la beauté de la foi. De rendre la foi intelligible. Elle préparait sur tous les sujets, autant pour l’accueil que pour sa communauté, des montages visuels, ravissements pour les yeux. Ces montages étaient des bijoux d’homélies.
Sœur Pacelli vit maintenant dans l’espace divin, l’Odyssée de sa raison d’être, comme l’écrivait Pierre Marie Varenne. Elle vient de passer du souviens-toi que tu es poussière à souviens-toi que tu es éternel. Toi qui es terre, né de la terre, tu montes maintenant au ciel avec le Christ (saint Grégoire le Grand). Se réalise pour elle cette finale d’une prière eucharistique : permets que nous ayons part à la vie éternelle et que nous chantions tes louanges.
Se termine une vie épiphanie de Dieu. Épiphanie fraternelle à travers ses nombreux contacts. Épiphanie de miséricorde dans le regard qu’elle posait sur les gens qu’elle savait accueillir. Elle s’est appliqué cette recommandation du prophète Isaïe : ne brise pas le roseau froissé, n'éteint pas la mèche qui faiblit. Épiphanie d'une disciple de l'Étoile, selon l’expression très belle de frère Christophe de Tibhirine, qui a guidé toute sa vie. Épiphanie d'une vie offrande depuis ce jour où prosternée devant l'autel, elle se donnait au Dieu de sa foi. Épiphanie d’une vie communautaire consacrée au service d’en haut, celui de l’eucharistie et du service d’en bas, celui du lavement des pieds, respectant ainsi le testament de Jésus. Désormais et pour toujours, sœur Pacelli est une « femme nouvelle », appelée à chanter un chant nouveau (Ps 149.1), Père, je proclame ta louange.
Je termine par ces mots d’un auteur inconnu. Un jour le Grand Jardinier me confia une plante d’une qualité très rare, et très belle. Je reviendrai la chercher, dit-il. Soigne-la bien, en la gardant pour moi. J’en ai pris soin, et la plante a grandi, elle a donné une fleur aux couleurs rayonnantes, belle et fraîche, comme l’aurore au printemps. […] De toutes les fleurs, elle était la plus glorieuse, son parfum, son aspect étaient merveilleux […]. Il est venu, un jour, me demander la jolie plante […] Si elle reste, me dit-il, dans ce sol, elle va perdre sa splendeur. Je veux la transplanter dans mon jardin là-haut. […] où les fleurs ne se fanent pas. Et il me dit : cette plante, c’est toi.
Pour cette plante, cette petite plante, dirait Claire d’Assise, devenons eucharistie. AMEN.
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