Année B : samedi des Cendres (litbc00s.21)
Lc 5, 27-32; Is 58, 9b-14 : croyons-nous en croyant ?
C’est rassurant d’ouvrir ce temps du carême par le récit d’un homme en état de crise et du regard compatissant d’un autre qui passe par là. Lévi n’a jamais assez d’argent; ce comportement impulsif cache un profond déchirement intérieur et Jésus le devine. Il l’invite à la suivre; c’est une main tendue afin que le soleil ne se couche pas sur son mal-être intérieur (cf. Eph 4,26). N’a-t-il pas dit sur la montagne : heureux les affligés, car ils seront consolés (cf. Mt 5, 5)?
Jésus constate que Lévi est malheureux; il lui offre son aide. Suis-moi n’est pas à comprendre comme un appel à devenir le disciple qu’il deviendra. Il propose de l’accompagner dans son cheminement pour l’aider à réparer les trois tissus déchirés de sa vie : sa relation avec lui-même, avec autrui et avec Dieu. Toute crise est un moment pivot où l’intolérable se métamorphose, bascule dans une vie plus heureuse. Heureuse crise, celle de Lévi !
En ouvrant ce carême, Jésus adresse la même demande à chacun d’entre nous. Suis-moi. N’espérons pas tenir debout sans l’appeler puisqu’il est avec nous dans nos jours de faiblesse, celui qui brûle nos cœurs (Hymne liturgique). Jésus discerne que nous avons aussi besoin d’être accompagnés avec discernement.
Commence un temps non réservé aux chrétiens ; un temps de discernement, accompagné d’un maître et d’un expert en humanité ; un temps pour nous sortir comme individu, comme société, comme Église d’une crise ; un temps métamorphose qui consiste à tout repenser, tout recommencer sans oublier que tout est déjà commencé en nous sans qu’on le sache. Commence un temps thérapeutique, accompagné par Dieu lui-même en la personne de l’humain Jésus.
L’humanité tout entière, chacun de nous ont besoin d’un nouveau regard pour comprendre ce cri pascal : venez déjeuner. Suis-moi est un chemin de déconfinement que la liturgie appelle conversion, mot qui résonne encore comme moralisant dans plusieurs oreilles. Tous sont d’accord sur un point : une démarche thérapeutique imposée a toutes les garanties d’un échec. Question : avec quel esprit entrons-nous dans cette démarche que les chrétiens appellent conversion ? Croyons-nous en croyant, se demande un humaniste du XIVe siècle (Lorenzo Valla, 1405-1457) ?
Cette démarche n’est pas un chemin spectacle pour se faire admirer, observer, remarquer. C’est un chemin de passage pour revêtir, individuellement et collectivement, ce vêtement nuptial, ce vêtement de la miséricorde que Jésus offre à tous ceux qui se disent chercheurs de sens. Suis-moi ne conduit pas d’abord à un changement moral ni à changer nos perceptions de Dieu. Il implique de se laisser toucher par Jésus, l’accompagnateur avec son regard empathique et compréhensif.
Dieu ne veut pas nous convertir à lui. Il n’a aucunement l’intention de nous écraser, de nous rabrouer. Il refuse de nous surveiller, de nous imposer quoi que ce soit. Il sait quand se retrouvant comme personne, qu’en entrant en nous-mêmes, nous le trouverons caché au profond de nous-mêmes, plus présent à nous-mêmes que nous-mêmes, dit saint Augustin, alors nous aimerons comme ils nous aiment.
Il y a toujours place pour quelque chose de nouveau dans nos vies, pour répandre un brin de fraicheur sur notre vie en Église. En communauté. Suis-moi, un appel communautaire. Quel coup de barre avons-nous besoin comme individu, comme communauté, comme Église pour vivre le saint évangile? Est-ce que nous entrons dans ce temps liturgique avec l’esprit du monde ou l’esprit que cache cet appel : suis-moi que la liturgie nomme metanoia.
Il ne s’agit pas d’un changement extérieur ou partiel, mais d’une réorientation de l’être humain tout entier. Il s’agit d’un passage réel et vrai de l’égoïsme à l’amour, de la défense de soi au don de soi. Ce passage nous appelle à goûter ce vin nouveau qui ne peut être contenu dans de vieux tonneaux. Il est incompatible avec regard tourné vers le passé, un regard plaintif qui dit que ce n’est plus comme avant. Les aiguilles du temps ne font qu’avancer. Notre façon de croire doit en permanence se maintenir en état de conversion. De mise à jour. On peut s’imposer tous les sacrifices inimaginables, mais si on ne le fait pas avec l’esprit chrétien, avec l’esprit du christianisme (Joseph Moingt), cela ne sert à rien.
À notre tour de répéter cet appel de Jésus. Allons là où la vie est précaire, là où se terminent les grandes routes de la vie, là où commencent les campagnes et dans toutes les villes; allons à toutes de sortes de monde, bon et mauvais, aux exclus comme aux inclus, à ceux qui n’ont jamais participé à un repas nuptial comme à ceux dont la table est festive; allons aux carrefours où vivent des lambeaux d’humanité sans espérance comme à ceux qui se contentent de voies confortables, habituelles; allons dire qu’à toute heure du jour, qu’à toutes les saisons de la vie, un appel retentit : se laisser guider par quelqu’un dont l’expertise en accueil, en accompagnement et en discernement nous rend plus humains, donc capables de nous ouvrir au divin qui veut à grandir en nous. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
Ajouter un commentaire