Année B- mercredi de la 33e semaine ordinaire (litbo33me.21) 17 nov.
Lc 19, 11-28 ; 2 M 7, 1.20-31 : risquer pour vivre.
Nous favorisons tous à des degrés divers le protectionnisme qui consiste à se protéger contre des envahisseurs aux aguets. Son effet négatif est de nuire aux autres. L’incontournable message de cette parabole est sans équivoque : pour ne pas mourir, il faut risquer. Refuser le risque, c’est la mort. La fécondité est le fruit du risque. À lire cette parabole, celle des talents (Cf. Mt 25, 14-30), celle du semeur (Cf. Marc 4,1-20), il s’en dégage que le principe de précaution ne porte pas la signature Jésus-Christ tant le risque apparaît inséparable de sa vie.
Risquer, c’est choisir de s'engager dans une voie inédite, inexplorée, sans savoir où elle conduira et sans aucune assurance de succès. Songeons à François d’Assise qui avait tout pour devenir riche. Songeons à l’érudit Paul annonçant aux païens qu’ils sont des aimés de Dieu. Songeons à Joseph Moingt qui n’a pas hésité à contester une certaine théologie trop dogmatique pour nous montrer l’humanité de Jésus. Songeons à Joseph Fadelle, musulman, et le prix qu’il a payé pour maintenir son souhait de se faire baptiser. Songeons au risque qu’a pris récemment Jeff Bezos, visitant l’espace dans un vol entièrement autonome. La liste pourrait être longue. Les plus belles réalisations sont nées d’une prise de risque.
Il en est ainsi tout au long des Écritures. Songeons à l’histoire du peuple d’Israël qui malmené par la tyrannie du Pharaon, a traversé le désert, un chemin tellement risqué qu’il reproche à Moïse de les avoir fait sortir. C’était mieux avant, au moins nous avions un peu d’oignons à manger. Ne pas risquer est une tentation.
L’Évangile est le récit d’un risque, celui de non pas abolir, mais accomplir (Cf. Mt 5,17). Jésus veut revitaliser de l’intérieur la pratique religieuse de son temps. Ce qui a mis en marche Jésus, le moteur de sa vie fut sa conviction que tout culte rendu à Dieu est un mensonge si l’on méprise et exploite son voisin. Il a pris tellement de risque, qu’il n’a pas vécu très longtemps. L’évangile n'est fidèle à son propre élan […] que s’il conduit à une interprétation créatrice du christianisme[1], écrit Claude Geffre. Toute homélie est un risque. Toute prise de parole sur Jésus est un risque.
Qui ne risque rien n’a rien, dit la sagesse populaire. Devant le risque, chacun se comporte différemment. Nos deux premiers récipiendaires de la générosité du maître ont risqué leur avenir en évitant que leur vie devienne un divertissement, pour citer Pascal. Ils n’ont pas hésité à prendre un risque calculé en mettant en jeu la générosité de leur maître. Le troisième a risqué le protectionnisme. Sa précaution excessive a étouffé sa vie et lui valut une réplique cinglante du maitre en plus de tout perdre. Sa vie était irréprochable, écrit Jean Chrysostome, mais à autrui elle ne servait en rien.
Devant cette parabole, posons-nous la question très évangélique : sommes-nous dans la posture du risque à courir ou bien sommes-nous dans la posture de la peur, soucieuse avant tout de ne pas nous compromettre ? Dans le premier cas, courir le risque est la condition de la fécondité ; dans le second, le repliement sur soi est indicateur de stérilité. Sommes-nous une Église qui prend le risque d’offrir une parole « neuve », non-répétitive, une parole qui éveille et réveille la foi qui dort dans les profondeurs des cœurs ?
Cette parabole nous pousse à risquer notre foi. La tâche la plus urgente est de trouver de nouveaux « alphabets » pour annoncer la foi. La créativité de l’évangile est nécessaire. Et le pape ajoute : sortons de l’inquiétude excessive pour nous-mêmes, pour nos structures […]. Évitons une théologie du maquillage[2].
C’est pour les autres que le maître fait don à chacun d’une pièce d’argent de grande valeur. Le zéro risque n’est pas une attitude évangélique. Le risque est ce qui met en marche Jésus. C’est la clef de voûte de l’Évangile. Donner, se donner comme le Christ l’a fait, c’est aller jusqu’au bout du risque. AMEN.
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