Année B : samedi de la 2e semaine du carême (litbc02s.21)
Lc 15, 1-3.11-32; Mi 7, 14-15.18-20: heureux effondrement.
Je commence par cette image, celle d’un maître hindou Râmakrishna qui pour faire comprendre à quelqu’un qui lui demande comment atteindre Dieu lui plongea la tête dans la rivière jusqu’à suffocation. Quand il reprit souffle, le maître lui dit : tu verras le Père quand ta soif de le voir sera aussi intense que l’était ton besoin de respirer.
L’effondrement du fils est ce qui peut le mieux lui arriver. L’écologie nous fait saisir que la catastrophe est maintenant quelque chose de probable. C’est quelque chose de certain si rien ne se fait pour l’éviter. Il faut s’imposer les moyens pour éviter le pire. Il y a dans l’effondrement du fils quelque chose de bon. Il est secoué jusqu’à poser un constat lucide sur lui-même sans éluder ses failles, sans faire semblant d’être heureux. Quelle belle image de notre situation ecclésiale qui retrouve le chemin vers le Père en observant son effondrement dans les méandres d’une organisation qui s’éloigne de sa mission première : d’être une Église hôpital de campagne.
Le retour du fils prodigue n’est pas un retour en arrière pour vivre comme avant. Les aiguilles d’une montre ne font qu’avancer. Son « retour », l’expression est malheureuse, est plutôt une transition d’une vie repliée à une vie en communion, d’une vie d’égarement à une vie de proximité avec d’autres. En rentrant en lui-même, le fils marche vers une vie d’ouverture aux autres dont sa famille est le point visible. Son geste est un cri que quelque chose le brûle par l’intérieur. Suffoqué, il reprend son souffle en retrouvant ses origines.
Le fils sent le besoin d’unifier sa vie, de vivre une vraie rencontre avec quelqu’un. Il veut sortir de sa fascination pour une vie repliée sur elle-même. Il se sent étouffé, manque d’air, d’un lieu accueillant, d’une main tendue (Cf. Si 7, 32). Personne ne lui porte attention. Marginalisé, il est pauvre de tout. Il a besoin de se sentir reconnu avec ses failles. Il a faim d’un chez lui, d’une communauté chrétienne qui le reçoit.
Il pressent qu’au sortir de son tombeau, de sa vie malheureuse, une « résurrection » l’attend. Il entrevoit qu’après la croix, il y a la Pâque ; qu’après des moments difficiles, il y a le soleil qui apporte lumière et réconfort. Rien, même pas se voir le dernier chez son Père, n’arrête sa marche vers sa « pâque ». Heureux effondrement qui ouvre sur une cure de désintoxication et lui permet de retrouver son identité de fils du Père, son appartenance au Père !
L’itinéraire de ce fils est celui de chacun d’entre nous qui avons besoin de sortir d’un tombeau étouffant, celui du confinement dans son petit moi. Le retour du fils chez lui, dans les deux sens du mot, en lui et chez son père, exprime un désir de désintoxiquer sa vie, de lui donner une autre direction, de sortir du protectionnisme de se plaire, de se servir plutôt que de servir. Son geste requiert beaucoup de courage et de volonté.
Cet effondrement du fils est l’image de l’effondrement de la foi en nous, autour de nous. De l’institution Église aussi. L’itinéraire du fils est un condensé de nos vies. Son retour porte un autre regard sur la vie que celui de la désolation. Rien n’est jamais fini. L’effondrement est un détour incontournable pour retrouver nos racines. Il faut parfois tomber très bas, s’y empêtrer et y rester englué durant des années pour que la vie soit vécue (C.G. Jung).
Ne percevons pas l’effondrement actuel, souvent exprimé en forme de plainte, de désolation, en termes de collapsologie cette science qui analyse les catastrophes appréhendées. C’est une chance, une grâce, dit le langage chrétien, de se dépouiller de tout ce qui s’est collé à nous en route et qui rend plus pénible toute notre marche[1]. Avec le temps, notre foi prend un air de vieux (Cf. Joie de l’évangile # 26).
L’effondrement est la toile de fond des récits évangéliques. L’itinéraire de Jésus en est un d’effondrement. Songeons à l’effondrement de Paul, contrarié alors qu’il allait détruire les chrétiens et qui ouvre sur un me voici ; à celui des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-35), effondrés par la défaite amère de Jésus et qui les ramène à la joie retrouvée.
En conclusion, l’effondrement nous fait voir et goûter les merveilles d’un pasteur plein de miséricorde, nous dit le prophète Michée dans un extrait qui ressemble à une liturgie de l’espoir. Qui est comme toi […], un Dieu qui ne s’obstine pas pour toujours dans sa colère, mais se plaît à manifester sa faveur ? De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés !
Tel est le visage de Jésus que nous sommes appelés à contempler en ce temps de Carême, visage d’un Dieu grand dans l'amour et dans la miséricorde. AMEN.
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