Année B : samedi de la 7e semaine de Pâques (Litbp07s.21) 22 mai
Jn 21, 20-25 ; Ac 28, 16-20.30-31 : qu’importe, toi, suis-moi.
Le bruit court que ce disciple ne mourra pas. Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? Au terme de son évangile, Jean, l’auteur présumé du 4e évangile, fait dire à Jésus une parole pleine de sérénité qui, si on l’entend bien avec les oreilles du cœur, évite la désespérance : que t’importe, toi, suis-moi. Cette parole ne s’adresse pas seulement à Jean. Ce qui ne mourra pas, c’est l’Évangile.
Il est fréquent d’entendre des gens de grande foi s’exclamer devant l’effondrement des mœurs de fondateurs de communauté, devant le « pretrocentrisme » de pasteurs autocratiques, devant des enquêtes confirmant l’ampleur d’enfants agressés, de religieuses trahies, d’évêques laïcisés, de scandales financiers : on en est là. Un rappeur congolais, Maître Gims, chante que le pire n’est pas la méchanceté des gens, mais le silence des victimes.
Il nous faut entendre en ces temps de grand bouleversement, de questionnements, de transformations en profondeur de nos communautés, ces paroles inouïes de Jésus : qu’importe, toi, suis-moi. Jean termine son évangile en ne cherchant pas à cacher la jalousie qui existe entre les apôtres. Sans crise, il n’y a pas de vie. Le grand croyant que fut Fernand Dumont écrivait dans ses mémoires : il est de la nature même du christianisme de vivre en état de crise et l'originalité de la situation présente réside dans la conscience aigüe que cette crise est permanente[1]. Dans ses vœux à la Curie en décembre dernier, le pape décrit l’Église comme un Corps perpétuellement en crise[2]. La bible est peuplée de gens en crise : Abraham, Moïse, Élie, Jean-Baptiste, Paul, même Jésus.
Que faire devant cette animosité, cet état de panique des apôtres ? De la nôtre ? Cessons d’abord de dire que l’Église en a vu d’autres. Cela ouvre sur une attitude de résignation, d’inaction ou de spiritualisation qui est une fuite de la réalité. Cessons de tomber dans le syndrome du glissement dans un lazy-boy. Cessons de voir des complots partout. La plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais de l’intérieur de nous, disait le pape Benoît XV1.
Interrogeons-nous, plutôt, si nous acceptons de passer nos vies au crible de la Parole de Dieu, ce tamisage qui nettoie le grain du blé après la récolte. Simon, dit Jésus à Pierre, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé, mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas (Cf. Lc 22, 31). Faisons circuler entre nous la parole de Jésus : que t’importe, toi, suis-moi.
Questionné au début de son ministère d’évêque de Rome à savoir s’il se voit un pape réformateur, François donne cette réponse : non, je veux seulement mettre Jésus toujours plus au centre de l’Église[3]. Devant l’effondrement actuel, la table est mise pour remettre l’Évangile au centre ; pour l’accoucher sachant que c’est toujours une épreuve douloureuse à traverser pour faire jaillir une fécondité ecclésiale nouvelle.
Alors que le regard myope des disciples les rend incapables de s’élever au-dessus de leurs émotions du moment, Jésus leur offre un chemin de résolution de leur crise : que t’importe, toi, suis-moi. Il y a tout l’évangile là-dedans. Et l’Évangile ne meurt pas, ne se meurt pas non plus. C’est l’institution qui se porte mal en ne s’arrimant pas sur la Parole.
Ce qui meurt, c’est l’incapacité de notre regard de voir autre chose que l’effondrement. Je ne crois plus, dit Etty Hillesum, que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. Autre manière de suggérer de passer au crible nos regards, nos vies.
À la fin des Actes des apôtres, Luc décrit en la personne de Paul un modèle de disciple bien-aimé qui malgré ses chaînes, son confinement, continue d’annoncer Jésus. Jean nous lègue un appel à entendre Jésus nous dire : qu’importe, toi suis-moi.
Cette parole s’adresse à tous les baptisés, peu importe l’institution auquel il appartient. Que l'Esprit saint nous aide à maintenir en état d'alerte, qu’il souffle en nous un vent de nouveauté assez puissant pour garder ouvert ce livre jusqu'à ce qu'il revienne. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[1] Dumont Fernand, récit d’une émigration -mémoires, Boréal Montréal 1997, p 123).
[2]http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2020/december/documents/papa-francesco_20201221_curia-romana.html
[3] Spadaro Antonio, des chemins de réforme, Éd. Parole et silence 2018.
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