Année A : mercredi de la 3e semaine du carême (litac03me.20)
Mt 5, 17-19 ; Dt 4, 1.5-9 : vers un code de compassion.
Nous ne saisirons jamais assez qu’il y a une distance abyssale, presque infranchissable, entre la pratique de la loi enseignée par les professionnels de la religion au temps de Jésus, comme d’ailleurs aujourd’hui, et la manière dont Jésus l’entrevoit.
Il n’est pas venu abroger la loi, mais l’accomplir. Les auteurs modernes affirment qu’il s’agit d’une parole assurément prononcée par Jésus. L’accomplir dit toute sa nouveauté provocatrice. Jésus laisse entendre que la loi est mal pratiquée. La nouveauté est le passage d’une pratique tout extérieure à celle du cœur. Jésus ne propose pas un nouveau code de loi pour régler les problèmes. Il ouvre une perspective nouvelle.
Il propose de passer d’un baptême par l’eau, dont parle Jean-Baptiste, axé sur la pénitence, le renoncement et les choses à faire à un baptême par l’Esprit de Jésus qui permet de savourer, désormais accessible à tous, la générosité de Dieu. Oublier cela, c’est mortel et ouvre la porte à perdre l’esprit de Jésus en nous et à rendre notre foi peu attirante.
Jésus, et les recherches tendent à le prouver, n’a pas appuyé sa vie sur une doctrine, sur des lois ou des rites souvent vécus de l’extérieur. Il a choqué son entourage, scandalisé les «parfaits» pratiquants de la loi en introduisant une révolution copernicienne toujours à vivre : celle du passage d’un code de sainteté dont le baptême de Jean indiquait la route austère à un code de compassion[1].
Ce passage séduit la «clientèle» privilégiée de Jésus, les exclus ou, pour utiliser le langage du temps de Jésus, les impurs. Les paraboles ont toutes pour toiles de fond des exclus, tel le pauvre Lazare, la samaritaine, le publicain à l’arrière dans le temple et bien d’autres. Dans toutes les paraboles, Jésus donne de l’importance à ceux qui n’en ont pas.
Les paraboles montrent que Jésus est de leur bord. Elles font tomber de leur cheval (cf. Ac 9) les tenants de la loi parce que Jésus donne ou redonne de la dignité à des exclus qui, à leurs yeux, n’en méritent pas. Dans un texte précédant ce passage, Matthieu déclare heureux ceux qui en raison de leur situation d’exclus ne le sont pas. Il affirme, et c’est un cantique nouveau (Ps 149, 1) que celui qui transgressera la loi de la compassion et enseignera aux autres à faire de même sera déclaré le plus petit dans le royaume de Dieu. Ne nous méprenons pas, c’est une véritable gifle à la loi.
Jésus accomplit et promeut, ce qui est nouveau et scandaleux, un code de compassion envers les exclus, déchets de la société (pape François). Il faut relire la scène du jugement dernier (Mt 25) pour comprendre que les élus sont ceux qui ont pratiqué durant leur vie ce code de compassion même s’ils ne se sont jamais assis à la table de l’eucharistie. Réaliser cela est une véritable culbute. C’est un retournement inimaginable, une révolution religieuse. Désormais, pour avoir accès à Dieu, il faut non plus se tenir à distance des impurs, de mauvaises personnes, mais les secourir comme le samaritain (cf. Lc 15, 25-37). Celui qui enseigne cela sera déclaré grand dans le royaume des cieux.
Pour être grand aux yeux de Jésus, il faut cesser de penser qu’en respectant la lettre de la loi ou à la lettre la loi, c’est être en loi avec elle. La loi nouvelle est de rencontrer Dieu en pratiquant un code de compassion, celui même que Jésus a pratiqué en invitant dans son royaume des gens, à première vue indignes que sont les exclus qu’il a tant aimés. Le cantique nouveau (Ps 149,1), il est très ancien. Ce qui est nouveau et ancien à la fois, c’est de «reproduire» en nous la vie de Jésus, la compassion de Jésus.
Si nous écoutons, dit la très riche et belle lecture, cette loi nouvelle que je vous enseigne et si nous la pratiquons, ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Que ce carême nous octroie une vraie rencontre personnelle avec Dieu dans une écoute qui nous engage à reproduire en nous la compassion de Jésus. Jésus l’exprime clairement : si votre justice ne dépasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux (Mt 5. 20). AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[1] Pagola, José Antonio, Jésus, approche historique, Éd. Cerf, p.203-205. Livre très dérangeant dont je m’inspire beaucoup.
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