Année A : samedi de la 9e semaine ordinaire (litao09s.20)
Mc 12, 38-44 ; 2 Tm 4, 1-8 : se donner des anticorps de solidarité
Quand je lis ce passage, je ne peux m’empêcher de songer à la deuxième tentation de Jésus au désert. Donne-toi de l’importance; donne-toi le pouvoir que tu ambitionnes; donne-toi la gloire de la première place, demande le tentateur à Jésus. Une condition : sois en adoration devant toi.
Jésus refuse cette autosuffisance[1]. Il n’éprouve aucun besoin de s’autoproclamer. Pour lui, être dans le Père (cf. Jn 14, 9) était quelque chose de plus fort que de se voir assis sur un trône qui finirait par disparaître. Même affaibli par un long jeûne, Jésus expérimente le besoin de se vider de lui-même, d’évacuer ses besoins personnels pour créer en lui un espace pour les autres, pour s’ouvrir à autre chose que d’être avec lui-même. Jésus est profondément greffé sur son Père et entièrement perdu en lui; il ne ressent pas le besoin de s’enfermer dans la citadelle de son moi et de se donner pour devise : tout pour moi et moi au-dessus de tout. La première place et la possession des biens que lui offre le Tentateur ne collent pas à sa personne.
Les disciples ont pris du temps à comprendre ce mode d’existence. Il serait plus juste de dire qu’ils ne l’ont pas compris parce qu'entre eux il y avait une rivalité, celle de savoir qui est le plus important (cf. Lc 24,27). On peut crier haut et fort notre appartenance à Jésus tout en cherchant en parallèle des honneurs et des chemins fastueux en se tenant sur les routes de la mondanité.
Songeons à l’attitude de Pierre qui, devant la belle porte, n’offrant à un homme impotent ni or ni argent [lui dit :] au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (cf. Ac 3, 6); il refuse alors de porter la responsabilité de ce geste, d’en être le protagoniste. Pierre indique une seule direction pour annoncer l’évangile : sortir de soi-même, ne pas utiliser le nom de chrétien pour se positionner, revendiquer plus de pouvoir. Au début des Actes des Apôtres, il déclare que c’est le nom de Jésus qui ressuscite. Que ton nom me ressuscite!
Devant cet appel, véritable belle porte, qui nous fait entendre le battement du cœur de l’évangile, j’entends une invitation à m’asseoir à la table de la Sagesse et aux libations (beuveries) d’un vin qu’elle vous a préparées dans sa coupe (cf. Pr 9, 5). Oui, quelle sagesse de vie, quelle libération du souci de se voir toujours le centre de tout que cet appel à la modestie. C’est de cela qu’il s’agit ici.
Jésus fait pour nous ce que nous ne sommes pas capables de faire : s’abaisser. Il ne nous indique pas un chemin sans le prendre lui-même. Sans nous accompagner aussi. Il est vraiment le Dieu avec nous. En agissant ainsi, Jésus nous montre comment assumer le divin dans l’humain que nous sommes. Il nous montre que le parfait humain ne cherche pas à s’élever, à rivaliser d’importance. C’est une grande honte pour nous serviteurs de Dieu […] de désirer avoir gloire et honneur (François d’Assise, Admonition, VI, 3).
En assumant intégralement notre condition humaine, sauf notre tendance à nous promouvoir, Jésus trace le chemin d’un véritable humanisme chrétien : s’abaisser, servir. Jésus a évité la tentation que lui offrait le Tentateur pour mieux nous faire admirer la beauté d’une vie où l’amour des autres est prioritaire.
Sommes-nous capables de boire à la source de sa spiritualité ? Sommes-nous capables de nous demander comment vivons-nous notre être humain aujourd’hui, notre vocation d’être humain ? Marc en conclusion de son évangile, fait une demande à ses lecteurs : s’arrêter pour regarder comment vivait Jésus. Jésus nous suggère de nous arrêter, non pas parce que nous y sommes contraints, comme durant la crise du coronavirus, non pas comme quand la police nous arrête en nous menottant, mais pour nous émerveiller de la beauté d’une vie humaine dégagée du souci de sa propre promotion. Notre barque est battue par les vagues (Mt 14,24) de nos satisfactions légitimes, mais auxquelles nous octroyions une place d’honneur. La veuve ne cherchait pas à se faire remarquer en déposant son obole. Elle débordait de solidarité.
À votre contemplation : véritable résurrection de l’humain que cet appel à ne pas se promouvoir si l’on veut prêcher avec insistance la parole de Dieu (2 Tm 4, 2). Jésus veut nous faire participer à la beauté d’une vie d’humain ressuscité en nous offrant des anticorps de solidarité (homélie du Pape François, 17/4/20). La pesanteur d’un humanisme replié sur soi ne doit pas avoir le dernier mot. Entendons Jésus nous dire : courage, n’ayez pas peur d’introduire du divin dans l’humain que nous sommes. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
Ajouter un commentaire